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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/616

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direction centrale. Les « formes » de notre pensée ne sont que des fonctions de notre volonté primordiale et normale, auxquelles répondent les fonctions essentielles de la vie physiologique. La volonté ne peut concevoir autre chose que ce qu’elle trouve en elle-même : or, que trouve-t-elle ? — Identité et raison suffisante. L’impossibilité pour la volonté et la pensée de sortir de sa propre nature crée la nécessité subjective, laquelle produit la nécessité et l’universalité objectives. En cela le kantisme et l’évolutionnisme doivent se mettre d’accord. La raison n’est que la conscience se projetant en toutes choses, imposant à toutes choses ses propres manières d’être et trouvant dans l’expérience extérieure la confirmation de cette induction instinctive. La preuve que notre boussole intellectuelle n’est pas affolée, c’est qu’en nous guidant d’après elle nous atteignons le but.

L’hypothèse qui explique le plus simplement cet accord de la pensée et de ses objets est la doctrine d’unité radicale qu’on nomme le monisme. De même qu’en nous rien n’est étranger à la pensée et à la volonté, puisque rien n’existe pour nous que ce qui tombe sous notre conscience et sous notre activité volontaire, de même, au dehors de nous, rien ne doit être étranger à la pensée et à la volonté, et tout en doit envelopper le germe. Le naturalisme matérialiste se figure un monde complet en soi indépendamment de tout élément d’ordre mental, de tout élément de conscience, de sentiment, de désir, une sorte d’univers qui existerait et se suffirait alors même que nulle part il n’arriverait à sentir, à penser, à vouloir ; mais alors, d’où viendrait cette pensée surajoutée au monde par surcroît, étrangère à sa nature essentielle et pourtant capable de surgir du sein des choses, de sentir et de comprendre l’insensible et inintelligent univers ? Le matérialisme aboutit au dualisme d’une matière sans aucun élément psychique d’où sort cependant le sentiment, la pensée, la volonté : il coupe le monde en deux tronçons discontinus qui ne peuvent se réunir. Il est plus logique d’admettre que le sujet pensant et voulant a un mode d’action qui se confond avec le mode d’action fondamental de l’objet pensé, et que les idées sont les réalités mêmes arrivées, dans le cerveau, à un état de conscience plus élevé. La volonté, répandue partout dans l’univers, n’a besoin que de se réfléchir progressivement sur soi et d’acquérir une plus grande intensité de conscience pour devenir en nous sentiment et pensée.

Alfred Fouillée.