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Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome XXXII, 1891.djvu/646

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c’est ce que nous accorderons sans peine. Mais alors au lieu de les combattre, ne vaut-il pas mieux en demander la plus complète réalisation ? Avant d’abandonner nos principes, tirons-en tout le parti possible, et ne les déclarons pas insuffisants quand c’est l’application que nous en faisons qui seule est insuffisante. Ils peuvent encore nous conduire loin, et avec moins de dangers de chutes et de chaos, puisque nous sommes habitués à leur allure.

Gustave Belot.

A. Ricardou. De l’idéal. Paris, Félix Alcan. 1890.

Nous sommes bien en retard pour rendre compte de l’intéressante thèse de M. Ricardou ; mais le sujet dont elle traite s’impose avec trop d’insistance à la pensée de nos contemporains, pour qu’elle puisse avoir perdu par ce retard la moindre parcelle de son actualité. Le récent discours du Ministre de l’instruction publique à la Sorbonne suffirait à prouver, s’il en était besoin, combien cette question de l’Idéal préoccupe à notre époque, non seulement les philosophes, mais encore les pédagogues et même les hommes d’État.

À ce titre l’œuvre de M. Ricardou répond bien à un des besoins profonds de notre siècle. Si on entend par positivisme moins la doctrine particulière d’A. Comte qu’une manière générale de penser qui s’inspire des tendances et des procédés de la science positive, l’esprit humain au xixe siècle est à coup sûr positiviste ; mais c’est peut-être la raison même pour laquelle il est si vivement inquiet de l’idéal, comme s’il comprenait que l’idéalisme est le complément nécessaire du positivisme. Aussi certains penseurs, par exemple M. Fouillée et le regretté M. Guyau, s’efforcent-ils de les concilier l’un avec l’autre. M. Ricardou — et c’est là ce qui fait l’originalité de sa thèse — s’est attaché à la considération exclusive et en quelque sorte unilatérale de l’idéal. De là, croyons-nous, les objections qu’on n’a pas manqué de lui faire à la soutenance et que nous lui ferons nous-même ici.

Le livre, d’une ordonnance à la fois simple et harmonieuse, comprend trois parties : d’abord une détermination des caractères de l’idéal et de son rôle dans toutes les régions de la pensée humaine, en mathématiques, dans les sciences de la nature, dans l’art, dans la vie morale et dans la vie religieuse ; puis une étude de la formation de l’idéal considéré soit en ses diverses formes, soit en lui-même ; enfin une enquête sur la valeur subjective et objective de l’idéal, enquête qui aboutit à des conclusions nettement affirmatives. Dans toutes ces parties, le style est d’une élévation soutenue, un peu trop uniforme peut-être, d’une concision élégante, parfois même d’une éloquence qui rappelle, avec moins d’onction et plus de force, la manière de Damiron. Le lecteur y voudrait quelquefois plus de souplesse et d’abandon : la continuité, du ton dogmatique impose à l’esprit mais risque de le fatiguer. Nos philosophes contemporains nous ont accoutumés, il faut bien le