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CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE

dépêches de Serbie nous ont apporté chaque jour des preuves nouvelles du crédit qu’avaient gardé les régicides à la cour du roi Pierre. Fâcheux indice. Assurément ce prince, qui n’était pour rien — nous en sommes convaincu — dans le meurtre barbare de ses prédécesseurs, a bien agi d’en profiter. Mais il eut dû, nous semble-t-il, depuis trois ans qu’il règne, accentuer davantage le mépris qu’il ne peut manquer d’éprouver pour les bandits auxquels il doit son trône. Il eut dû, par respect pour lui-même et par déférence pour l’Europe, laver de toute souillure ce trône encore sanglant. Il a fait tout le contraire en gardant dans sa Maison les conspirateurs régicides. Nous l’aurions admiré davantage plus courageux.

Malgré tout, c’est affaire à lui, et nous ne nous sentons pas suffisamment éclairé sur les exigences de sa politique intérieure pour le blâmer ouvertement. Charbonnier est maître chez soi, et le roi Pierre commande en ses États comme bon lui semble. Mais nous blâmons l’Europe d’avoir si facilement passé sa vieille éponge sur le crime atroce de la bande Machin. Vous souvenez-vous qu’en juin 1903, au moment de l’avènement du roi Pierre Karageorgevitch, les puissances prétendirent exiger la disgrâce des conspirateurs comme condition du rétablissement des relations diplomatiques avec la Serbie ? Cette prétention, sans doute, n’était qu’un vœu très platonique. Après un simulacre d’exécution, les régicides furent plus puissants que jamais. L’Europe ferma les yeux, et dès lors, aux cérémonies de la cour, les ministres de France, de Russie, d’Allemagne, etc., furent exposés à serrer la main de l’homme qui étrangla la reine et à complimenter celui qui transperça le roi ! Un seul manqua, cependant, qui avait tenu sa parole : c’est — vous l’avez deviné — le représentant de l’Angleterre, sur le désir formel du roi Édouard, donnant ainsi au monde une belle leçon de dignité.

Sous le coup de cette abstention, tous les jours plus funeste à la Serbie, le roi Pierre s’est enfin décidé à rayer des contrôles de l’armée les officiers qui ont pris part, il y a trois ans, au meurtre du roi Alexandre et de la reine Draga. Il n’a pas, d’ailleurs, cessé de leur témoigner des égards tout spéciaux : au lieu de prononcer purement et simplement leur mise à la retraite, il a négocié avec eux pour obtenir leur démission et l’a payée d’une pension égale, sinon supérieure, à leur solde de service actif. L’Angleterre a renoué immédiatement les relations diplomatiques avec le gouvernement serbe.