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REVUE POUR LES FRANÇAIS

Un pays de tolérance

Impossible en effet de n’être point frappé par le double caractère de la cérémonie dont nous venons d’évoquer le souvenir peu connu. Il y a équivalence voulue entre la conversion au protestantisme des Chevaliers teutoniques et l’attribution à leur chef d’un fief séculier. Il plaisait à Sigismond d’avoir des sujets protestants. Au point de vue religieux, son royaume devenait ainsi fort bigarré ; le centre demeurait catholique, mais deux puissants noyaux, l’un orthodoxe, l’autre protestant, s’y trouvaient désormais soudés. Rien n’indique que le sentiment national se soit insurgé contre cette politique. On se représente généralement l’ancienne Pologne comme un foyer d’intolérance. C’est une vue erronée. L’intolérance y régna comme partout, sous l’influence du clergé et aussi de la chevalerie, les divergences confessionnelles donnant occasion à l’humeur batailleuse des chevaliers de se manifester. Mais ce furent là des accès passagers. Les Juifs avaient trouvé un refuge en Pologne à une époque la persécution les chassait des autres pays. L’un des prédécesseurs de Sigismond avait épousé une princesse de rite orthodoxe. Enfin les doctrines Hussistes avaient de bonne heure pénétré dans le pays sans y soulever de conflits. Maintenant les jeunes Polonais allant étudier en Allemagne, en rapportaient des idées luthériennes mais ils ne se détachaient pas pour cela de leur église : ils souhaitaient simplement de lui voir adopter certains principes de la Réforme tels que le mariage des prêtres, la communion sous les deux espèces et la liturgie en langue vulgaire. Enfin Hosius qui devait représenter la Pologne au concile de Trente et en accepter d’ailleurs les décisions, rêvait d’un catholicisme national et s’employait à en préparer l’avènement. Par la suite, les Jésuites qu’il introduisit dans le pays et dont l’initiative s’y exerça copieusement par la fondation d’innombrables missions, modifièrent l’état d’esprit des populations. Mais, sous les Jagellons, la tolérance dominait parmi elles ; les Ariens et les Sociniens même voyaient leurs croyances respectées et la remarquable ordonnance de 1573 rendue par la Diète et proclamant la liberté de conscience et la liberté du culte, ne fit que consacrer d’heureuses coutumes et de sages dispositions d’esprit, à l’heure où elles allaient décliner, puis disparaître.