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L’AFFAIRE VÉNÉZUÉLIENNE

Ce serait une faute impardonnable de prétendre traiter cette affaire par le dédain. Les intérêts français qui sont là-bas très considérables en souffriraient de façon irrémédiable. On compte au Vénézuela plus de 2.500 de nos nationaux sur une population totale de deux millions et demi et sans compter les Français ou descendants de Français naturalisés vénézuéliens. Ces 2.500 Français possèdent une fortune globale que M. Pinon, dans une étude très documentée, a estimée dernièrement à cent trente millions de francs. Les deux principales banques de Caracas sont entre leurs mains. Une seule des provinces de la République compte cinquante-six maisons françaises faisant pour plus de douze millions d’affaires. À Campano, la colonie française qui a fondé une chambre de commerce possède pour plus de quarante millions de capitaux. Il existe de nombreuses écoles où notre langue est enseignée. Elle est du reste, dans tout le pays, le véhicule du progrès et de la civilisation et tout Vénézuélien raffiné regarde Paris comme sa capitale intellectuelle.

Cela date de l’heureux temps (1870 à 1888) où Guzman Blanco alternait de façon originale les fonctions de président de la République avec celles d’ambassadeur à Paris. Cet homme éminent comprenait admirablement son pays ; il savait qu’on s’y use vite au pouvoir mais qu’à condition de le quitter à temps, on est assuré d’y revenir. Ce plan génial s’accordait au reste avec ses convenances personnelles. Vrai Parisien d’esprit et de cœur, Guzman Blanco quittait sans regret les prérogatives dont il jouissait à Caracas pour celles qui l’attendaient sur les bords de la Seine et il faut lui rendre cette justice que, diplomate ou chef de l’État, il ne cessait de travailler par des moyens divers mais avec un zèle égal au bien de sa patrie. Lui disparu, les compétitions et les désordres intérieurs qu’il s’était au reste trouvé souvent impuissant à dominer reprirent de plus belle. Les partis recommencèrent à se déchirer. On vit des présidents poursuivre la prérogative illégale de leurs mandats ; on en vit d’autres gouverner au milieu de violences et d’abus sans nombre. Puis en 1899 parut un marchand de mulets qu’entouraient, venus des Andes comme lui, des aventuriers sans scrupules. C’étaient Castro et ses partisans. Ayant culbuté les troupes gouvernementales à Tocugito, ils entrèrent cette