Page:Revue pour les français, T1, 1906.djvu/572

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
430
REVUE POUR LES FRANÇAIS

Dans l’avenir même il est permis de prévoir que ce n’est pas le Japonais qui menacera l’Indo-Chine française : c’est plutôt le Chinois.

Le lecteur sait qu’il y a dix ans, la guerre sino-japonaise ayant révélé la faiblesse extrême du Céleste-Empire, les grandes puissances européennes prétendirent s’y tailler des sphères d’influence respectives et comment chacune d’elles obtint, pour gage de l’exécution des traités consacrant son droit de préférence sur le morceau de choix convoité, un lambeau de territoire chinois. La France jeta naturellement son dévolu sur les provinces voisines de l’Indo-Chine : le Yunnan, le Kwang-Si et le Kwang-tung, et prit possession effective de la baie de Kwan-Tchéou-Wan. La Russie, l’Angleterre, l’Allemagne en firent autant en Mandchourie, au Yang-Tse, au Chantoung : ainsi commença l’« ouverture » de la Chine à l’exploitation européenne.

Le mot exploitation a deux sens : mise en œuvre et abus de confiance. C’est un fait que l’Europe et les Européens en ont surtout retenu le second. Sous prétexte de rénovation nous avons voulu imposer brutalement nos progrès et même nos idées. Au lieu de nous consacrer à notre rôle de commerçants, nous nous sommes sottement obstinés à prétendre doter la Chine d’une civilisation nouvelle dont nous étalions, d’autre part, à ses yeux les côtés les plus détestables. Dites-le bien haut : nous avons fait fausse route et notre erreur est à présent bien difficilement réparable.

J’étais un soir dans une auberge de village, aux environs de Péking. Accroupis autour d’une petite table basse, des paysans dînaient au milieu de la cour. Ils causaient bruyamment, riaient beaucoup et me remarquaient à peine. Arrive un étranger : sous prétexte que la table est posée au milieu de son chemin, il la bouscule et renverse tous les petits plats, mes gens n’ont pas même protesté ; rassemblant les miettes de leur repas, ils sont allés l’achever dans un recoin obscur, mais ils n’ont plus cessé dès lors de nous épier. Ma présence même qui leur était indifférente, leur est devenue insupportable et s’ils avaient été les maîtres de l’auberge, ils m’auraient certainement expulsé. Hé bien ! — je ne l’écris pas sans quelque confusion — les façons d’agir de mon compagnon de hasard sont courantes parmi les Européens de Chine, elles se mani-