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et mieux de préparer l’avenir de leur progéniture que ce n’était le cas autrefois. Mais le cercle de famille tend à se rétrécir chaque année davantage. Dès que l’élément collatéral entre en scène, deux phénomènes apparaissent qui sont nouveaux : le déclassement et la dispersion. Le premier est le fait de la démocratie et un peu aussi des progrès matériels dont le second dépend complètement.

Le mélange des classes, de nos jours, est en réalité bien plus complet que les conventions sociales ne permettent de le constater à première vue. Tout en haut et tout en bas, les caractéristiques antérieures demeurent, mais à tous les rangs intermédiaires il tend à s’établir un perpétuel va-et-vient de gens qui montent et descendent, dont les conditions d’existence se transforment, dont les relations changent en sorte qu’il est à présent bien peu de familles nombreuses dont on puisse dire que tous leurs membres se tiennent socialement au même niveau ou dans des situations équivalentes. La multiplication des transports, les habitudes et les facilités cosmopolites provoquent d’autre part une véritable dispersion. En dehors de ceux qui vivent d’une façon permanente hors de leurs pays, les voyages et les déplacements réguliers interrompent les rapports parfois pendant des années entre membres d’une même famille. Or ce n’est pas, par ce temps de machines à écrire et de hâte fébrile la correspondance épistolaire qui saurait y suppléer. Ainsi les liens collatéraux tendent à se relâcher dès le deuxième et même le premier degré. Il est donc naturel que l’hérédité se trouve peu à peu modifiée en ce sens que les legs ou dons d’amitié ou de bien public prendront, en cas d’absence d’héritiers directs, la place prépondérante dans les préoccupations des testateurs ou donateurs.

Ce régime que nous venons d’esquisser brièvement, il existe déjà quelque part. Et c’est dans les pays les plus foncièrement individualistes dont se compose actuellement l’univers civilisé, à savoir l’Angleterre et les États-Unis. Là, non seulement, comme nous le rappelions tout à l’heure, la propriété s’approche en quelque sorte d’un maximum de souplesse, de fluidité, mais encore le dispersement et le déclassement sont la loi commune. Là on a vu un duc d’Argyll dont le fils aîné appartenait par son mariage à la famille royale, tandis qu’un autre remplissait ses devoirs de modeste clergyman, et qu’un troisième tentait la fortune au loin dans l’élevage des moutons. Là, on a vu un Pullmann doter riche-