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Page:Revue pour les français, T2, 1907.djvu/187

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L’HELLÉNISATION DE ROME

rait longtemps. Il n’apercevait pas, pour la Grèce, d’autre avenir raisonnable que de s’attacher loyalement à la fortune romaine. L’influence de Polybe dut être énorme sur la jeunesse à la fois militaire et lettrée qui se groupait autour de Scipion. Jusqu’alors, elle se préparait aux doubles devoirs du soldat et du citoyen, en menant alternativement la vie des camps et celle du forum. Polybe estimait, lui, que la simple technique du métier ne suffit pas à un chef de troupe, mais qu’il doit connaître la géographie, l’histoire, l’astronomie, la géométrie. C’était le principe d’une révolution féconde pour les armées de la République.

Dès cette époque donc, l’influence grecque s’exerçait de façon efficace dans les classes dirigeantes et le fait qu’au théâtre populaire, des expressions, des phrases entières, des proverbes, des chansons en langue grecque s’intercalaient souvent dans le texte latin montre que le peuple avait été assez façonné par le contact des Grecs pour ne pas s’étonner de ces emprunts, alors même qu’il n’en pouvait démêler le sens littéral. Ces derniers, en effet, étaient nombreux ; ils s’étaient faufilés partout ; ils servaient de secrétaires et d’entremetteurs, de maîtres d’écoles et de commis-voyageurs. Cela n’allait pas, bien entendu, sans soulever cà et là de vives protestations. Quand Ennius déclare que « Rome ne peut se soutenir que par le maintien des mœurs antiques », c’est contre l’envahissement grec qu’il se prononce. Parmi les plus véhéments adversaires de l’hellénisme, il faut compter le farouche Caton. À l’heure même où Polybe travaillait avec Scipion et ses amis, Caton faisait chasser de Rome trois philosophes qu’Athènes avait envoyés en qualité d’ambassadeurs et qui avaient trouvé très pratique d’utiliser leur séjour pour donner des leçons en public. Comment ne pas croire que de pareils incidents furent fréquents ? Mais ils ne réussirent pas à entraver le progrès de l’hellénisation parce que Rome avait besoin de la Grèce.

Que serait-il advenu de l’une sans l’autre ? C’est un problème qu’on ne peut songer à creuser parce que les éléments d’information sont insuffisants pour permettre de le faire avec quelque certitude. Mais sans le conduire jusqu’au bout, il est aisé d’en poser les prémisses. Le grand défaut des grecs fut de ne point mettre en pratique leurs belles théories. Ils donnèrent des recettes sublimes, mais ne réussirent pas à les appliquer. Étaient-elles immédiatement applicables ? À une humanité d’élite peut-être, mais non