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REVUE POUR LES FRANÇAIS

pas à l’humanité barbare qui devait pourtant en recevoir l’héritage. La tâche de Rome fut de triturer les idées grecques, de les fixer, de les habiller, de les domestiquer, d’en faire en un mot un produit assimilable par les autres peuples encore à l’aurore de l’humanisme. D’autre part, il n’y a pas d’exemple que les vertus militaires, la capacité juridique et la juste constitution de la famille aient suffi à asseoir les destins d’une grande nation. Ce sont là à coup sûr des éléments prépondérants de force sociale, mais non pas les matériaux uniques de la construction d’un État. C’est pourquoi l’on a toujours vu les conquérants s’entourer d’hommes de lettres, de poètes, de philosophes, de musiciens et dans l’intervalle des batailles s’occuper de faire fleurir les arts et s’épanouir la pensée. Or le germe romain apparaît très pauvre à cet égard. On n’y trouve aucune trace d’une originalité quelconque. La notion du droit a bien surgi du milieu même et si nette, si solide, qu’elle domine encore, sous sa forme romaine, un grand nombre de législations contemporaines. Mais l’art, la littérature, la philosophie sont des choses entièrement apprises. Apprises de qui ? de la Grèce. Et comme Carthage à son tour a subi assez nettement l’influence grecque et qu’elle s’est affinée par ce contact dans la mesure où cela lui était possible, on se demande quelle race, la Grèce n’existant pas, aurait pu servir de précepteur à cette Rome incapable de s’éduquer seule ? Il ne serait resté pour cette besogne, en dehors de l’Inde trop lointaine, que l’antique Chaldée, la Phénicie et l’Égypte ; l’éducation eut été aussi lente qu’imparfaite. Au contraire, la Grèce existant, elle a été rapide et totale. Le maître et l’élève étaient faits l’un pour l’autre : ils se complétaient. Si la beauté grecque n’eût trouvé pour la contenir et la maintenir le moule romain, si robuste et si simple, elle se fut évaporée à travers le monde. Certes il en fut resté quelque chose mais rien de suffisant pour opérer plus tard une transformation comme celle de la Gaule, par exemple. Cette transformation et d’autres similaires furent, s’il est permis d’employer une formule inusitée, le fait de l’hellénisme romain.

Par la suite, ainsi qu’il advient en pareil cas, l’imitation de tout ce qui était grec alla de pair avec l’assimilation des idées hellènes. Probablement les premiers symptômes en étaient apparus au temps où s’alarmait l’austérité de Caton. Du reste, nous savons que celui-ci avait déjà véhémentement reproché au premier Scipion d’avoir porté en Sicile le costume grec et mené la vie