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REVUE POUR LES FRANÇAIS

Dans chaque Etat, des groupements se formèrent par lesquels l’autorité se trouva spontanément déposée entre les mains des plus dignes et des plus intelligents, de ceux qu’on appelle par un barbarisme expressif : les citoyens proéminents. Ceux-là, dans une démocratie peu nombreuse, se discernent aisément ; aussi, le difficile n’est pas de les trouver mais de les porter au pouvoir et de les y maintenir. Les Américains eurent ce double mérite de bien choisir leurs chefs et, les ayant choisis, de les soutenir résolument. Ceux-ci avaient une tâche effrayante à remplir ; leur mérite, à eux, fut de ne point reculer. Ils devaient à la fois organiser la résistance, créer le gouvernement et empêcher le découragement de pénétrer dans l’opinion. Ils organisèrent la résistance sur terre et sur mer. Chaque État eut ses régiments qui se joignirent à l’armée fédérale toutes les fois que le théâtre des hostilités se trouva à leur portée, qui le reste du temps maintinrent l’ordre, empêchèrent les débarquements de troupes ennemies, tinrent en échec les Indiens et les Canadiens. Sur les côtes, croisait en même temps une flotte fort étrange, composée de navires de tous les types et de tous les tonnages, barques de pêche pour la plupart ou cargo-boats auxquels on avait délivré des « commissions » les transformant en vaisseaux de guerre. Ils étaient mal armés mais montés par des hommes qui ne tremblaient devant aucun péril. Cette marine infligea aux Anglais des pertes sensibles. En trois ans, elle captura ou détruisit trois cents de leur navires. Défendus de la sorte, les gouvernements purent se créer. Chaque État adopta une constitution et la mit en vigueur ; elles se ressemblèrent toutes, parce que le sentiment de la liberté et la pratique des town meetings avaient engendré une conception gouvernementale à peu près uniforme[1]. Néanmoins beaucoup de ces constitutions se ressentirent de la hâte avec laquelle elles furent rédigées et votées ; et çà et là, faute d’une entente commune, des germes de discorde s’y glissèrent que l’avenir devait développer. Le plus laborieux, ce fut encore d’entretenir la confiance et la sérénité dans l’opinion. Les nouvelles montaient et descendaient lentement le long de ce rivage interminable ; les communications étaient sans cesse interceptées. Les années se

  1. Les conditions de l’électorat varièrent assez sensiblement. Mais la Caroline du Sud fut seule à exiger des électeurs « la croyance en Dieu et en la récompense et la punition éternelles ».