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REVUE POUR LES FRANÇAIS

sans coûter fort cher précisément parce que le chef intronisé de la sorte en prenait à son aise avec les règlements et, bien souvent, dirigeait son régiment de loin ou ne le dirigeait pas du tout. Le profit net n’était donc pas si considérable qu’on ne l’a cru longtemps.

Le Tellier chercha du moins à établir certaines conditions de capacité et de durée de service pour la nomination d’un grade à un autre et il supprima nombre d’emplois inutiles et parfois fictifs. Surtout il s’employa à faire disparaître la fraude dont nombre d’officiers abusaient si étrangement que, parmi eux, l’immoralité d’un tel régime avait fini par n’être plus même remarquée et que l’on ne se cachait plus pour y recourir : nous voulons dire la fraude des effectifs simulés. Les compagnies n’atteignaient plus jamais le nombre réglementaire. Quand venait une revue, on introduisait des hommes appelés passe-volants qui figuraient parmi les soldats pendant quelques heures moyennant une faible rémunération et disparaissaient aussitôt. À force de remplir ce singulier métier, les passe-volants avaient pris des allures suffisamment militaires pour n’être point remarqués. Il y en avait un grand choix dans toutes les garnisons. L’officier bénéficiait le reste du temps de la solde du soldat absent que le passe-volant avait passagèrement représenté. Pour ce même motif, la multiplicité des désertions le touchait médiocrement. « Il est bien ayse, écrivait Le Tellier, en 1647, que sa compagnie s’affaiblisse pour profiter de la solde des déserteurs tout le reste de la campagne ». C’est une chose, ajoute le secrétaire d’État « que j’ay apprise tandis que j’ay esté intendant au Piémont ». Il avait en effet appris beaucoup de choses à cette armée d’Italie où Richelieu l’avait envoyé en qualité d’intendant et où il avait fait la connaissance de Mazarin alors chargé d’affaires de France à Turin.

Bien entendu on ne doit pas conclure de ces lignes qu’il n’y eût pas dans l’armée des officiers consciencieux, mais ce serait d’autre part se faire une grande illusion de croire que ceux-là fussent la majorité ; loin de là. Ce qui avait amené un si fâcheux état de choses c’était assurément l’irrégularité avec laquelle officiers et soldats recevaient leur solde et les longs espaces de temps pen dant lesquels ils ne recevaient rien du tout. Aussi la sévérité