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M. LOUIS DELMAS. — L’OPOTHÉRAPIE.



peut-être à constater qu’une des questions les plus actuelles de notre thérapeutique «fin de siècle», c’est-à-dire la médication par les «extraits d’organes» sensationnellement inaugurée, il y a dix ans, n’est, en définitive que la résurrection, sous l’aspect approprié à nos exigences scientifiques, de certaines traditions de cette vieille «pharmacopée galénique» qui nous semblait naguère si incohérente et si grotesque. En exhumant, pour l’utilité de la cause, de l’oubli séculaire où elles paraissaient à jamais ensevelies, quelques-unes des répugnantes «recettes » de produits animaux, inscrites aux meilleures pages de cc bizarre codex, nous n’aurons cependant d’autre objectif que celui de faire ressortir par quels savants artifices elles ont inopinément reconquis l’irrésistible prestige du « fait nouveau ».

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Le 20 juin 1889, Brown-Séquard, successeur immédiat de Claude Bernard et brillant continuateur de son œuvre, donnait, à la Société de Biologie, lecture d’une observation de thérapeutique expérimentale d’incalculable portée immédiate. Il s’agissait d’un vieillard de soixante-douze ans, tombé au plus bas de la déchéance physique et intellectuelle et rapidement remonté au maximum apparent des attributs de la-virilité, à la suite d’injections sous-cutanées d’un liquide fraîchement extrait des glandes séminales d’animaux sacrifiés en pleine santé. Cette réalisation matérielle et semblait-il, ad libitum, du rêve de Floürens marquait le premier pas d’une médication qui, par un recul fort inattendu vers les errements du passé, portait un bruyant défi aux envahissements démesurés de la chimiatrie. Elle eut, comme bien l’on pense, un très grand retentissement, Malades et débilités s’empressèrent d’y recourir. Bon nombre de bien portants mêmes n’hésitèrent pas à lui demander un surplus des forces qui ne satisfaisaient plus leur ambition surexcitée. Ainsi qu’il est ordinairement de règle, au début de chaque essai médicamenteux, cet accidentel succès initial fut, par la complaisante interprétation des intéressés ou par l’inévitable effet d’une banale suggestion, suivi d’exemples assez encourageants pour maintenir ou propager le merveilleux renom du nouveau système. La « fontaine de Jouvence », depuis si longtemps épuisée, venait enfin de déverser subitement, et sans crainte de les voir tarir, ses flots régénérateurs!...

Mais l’ère non moins obligatoire des déceptions n’eut que trop tôt son cours. La pratique, en se répétant dans des conditions techniques insuffisamment précises, ne tarda pas à dévoiler les nombreux inconvénients, parfois même les dangers, et fréquemment l’inutilité des injections Séquardiennes. L’idée détenait toutefois une part de vérité assez évidente pour ne pas être entièrement abandonnée. On chercha ailleurs. On scruta successivement les propriétés latentes des divers appareils glandulaires. Les découvertes se multiplièrent avec l’ingénieuse rivalité des observateurs: si bien que, après quelques années de tâtonnements, l’humanité souffrante peut dès maintenant escompter, sous réserve de ne pas en exagérer les promesses, l’appui convenablement éprouvé d’une méthode curative, vieille sans doute comme le monde puisque bon nombre de ses éléments actifs ont de tout temps figuré dans la grossière confusion des remèdes populaires, mais absolument neuve par la précisiondéfinitive de ses règles, de ses indications et de ses procédés: digne, en fin de compte, de l’intransigeant patronage de la « Médecine scientifique ».

Moins favorablement accueillie chez nous qu’à, l’étranger, malgré son origine, ou vraisemblablement à cause d’elle, c’est surtout en Angleterre et en Allemagne que cette extraordinaire méthode s’est le plus particulièrement propagée. Cependant, par une juste conséquence des conditions psychologiques qui lui ont donné naissance, c’est à la France qu’elle devait demander, avec ses derniers perfectionnements, la consécration d’une dénomination officielle. Elle ne pouvait en recevoir de plus expressive que celle d’« Opothérapie »[1] due à une très heureuse inspiration de Landouzy. Semblable convenance de terminologie constituait déjà, par élle’-même, un signe d’excellent augure. Aucun symptôme inquiétant n’a, de fait, encore menacé la fortune naissante de ce modus medicandi.

La découverte de Brown-Séquard ne résultait pas, comme certains l’ont cru, d’un vulgaire et complaisant hasard. Une longue suite d’expériences ingénieusement conduites et logiquement interprétées en avait préparé la venue. L’idée directrice qui la contenait en germes remontait jusqu’à 1869, époque des remarquables travaux de l’inventeur sur les « fonctions du pancréas ». En se proposant d’étendre à d’autres systèmes analogues les recherches de même nature, le savant physiologiste s’était, au début, laissé absorber par l’étude des causes primordiales qui établissent, entre le développement de l’appareil reproducteur de l’individu et sa valeur physique et intellectuelle, une si manifeste et constante relation. Fait d’autant plus significatif que ce n’est point ici, comme pour d’autres organes, du libre et régulier exercice de la ’fonction, mais uniquement du degré d’aptitude à l’accomplir que résultent la vigueur et le maintien des forces du sujet. Partant de cette

  1. οπος, suc, jus, par conséquent « extrait » et Ospazsuco, je soigne.