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M. LOUIS DELMAS. — L’OPTOTHÉRAPIE.


La théorie matérialiste de la radioactivité nous conduit donc bien loin. D’ailleurs, si nous nous refusions à la suivre dans ses conséquences, nous n’en sommes pas moins embarrassés. Si la matière radioactive ne se modifie pas, alors nous nous retrouvons en présence de la question : d’où vient l’énergie de la radioactivité ? Et si la source d’énergie ne peut être trouvée, nous voilà en contradiction avec le principe de Carnot, principe fondamental de la thermo-dynamique, d’après lequel un corps à température invariable ne peut pas fournir d’énergie, s’il n’en reçoit pas de l’extérieur. Nous sommes alors forcés à admettre que le principe de Carnot n’est pas absolument général, qu’il ne s’applique plus à certains phénomènes moléculaires et que certaines substances, les substances radioactives, possèdent la faculté de transformer en travail la chaleur du milieu ambiant. Cette hypothèse porte une atteinte aussi grave aux idées admises en physique que l’hypothèse de la transformation des éléments aux principes de la chimie, et on voit que la question n’est pas facile à résoudre.

Mme Curie.
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SCIENCES MÉDICALES

L’Opothérapie.

La Médecine vit de faits plus que de théories. Celles-ci passent et se renouvellent selon l’inconstante faveur des idées régnantes. Ceux-là s’imposent aux constatations imprévues des observateurs, ou surgissent à l’appel de leurs calculs et restent, ensuite, comme des jalons providentiels émergeant des perfides profondeurs de mouvantes marnières.

Multiples sont les facteurs de cette perpétuelle fluctuation qui, pour bien des choses, nous ramène si étrangement au point de départ lointain, dont notre fol orgueil nous croyait pour toujours séparés. Et cependant le sévère enseignement des siècles s’est-il jamais lassé de confirmer les prophétiques avertissements du poète, à tel degré que, sans l’inflexible veto de la prosodie, ce serait bien plutôt omnia que multa renascentur, qu’il conviendrait de proclamer philosophiquement aujourd’hui.

Des nombreuses parties intégrantes de l’art médical nulle ne justifie, mieux que la « Thérapeutique », le bien-fondé de ces réflexions initiales, tant soit peu malsonnantes pour les incontestables prétentions de la science moderne. Suggestionnante et mobile comme la mode, elle est également vouée aux plus capricieuses alternatives de vogue et d’abandon. Son autoritaire mais fragile pouvoir n’est, en mainte circonstance, que la résultante insoupçonnée des influences physiques, morales et intellectuelles, qui dominent et caractérisent l’évolution sociale d’une époque. Pourrait-on soutenir en effet qu’à ce triple point de vue une génération donnée soit la fidèle continuatrice de la précédente ?… Qu’est devenu, de nos jours, ce type exubérant de tempérament sanguin, infatigable au plaisir autant que peu sensible à la douleur, insouciant et téméraire, querelleur et généreux, mais toujours rieur, toujours sûr de lui, dédaigneux de l’adversité, indifférent à la mort quoique émérite appréciateur des joies de la vie ?… Vrai modèle de mens sana in corpore sano, dont la race française gardait jalousement le précieux apanage. Notre « neurasthénie » actuelle s’accommoderait fort mal des énergiques moyens, traditionnellement opposés par nos doctes et prolixes devanciers aux débordements d’une pléthore qu’ils devaient, à bon droit, considérer comme inépuisable. Somme toute, quoi qu’on en ait dit, Molière a montré plus d’esprit que de raison en jetant, sur l’obligatoire purgare et saignare de son temps, le décisif mais spécieux discrédit du ridicule. Les notoires abus qui achevèrent la ruine de cette sanglante pratique ne sauraient faire méconnaître qu’elle fut, pendant bien longtemps, manifestement sanctionnée par son habituelle efficacité. La routine seule n’eût certainement pas suffi à maintenir son despotique rigorisme. Elle tomba d’elle-même quand les faits, mieux encore que la critique, en dénoncèrent l’inopportunité. Car elle avait cessé de s’adapter au degré d’évolution de la physiologie et de la pathologie contemporaines.

Sans nous étendre davantage sur un sujet qui pourrait donner matière à d’interminables développements, nous poserons donc en principe que la thérapeutique ne peut être moins changeante que les besoins qu’elle est tenue de satisfaire et dont l’histoire de l’humanité nous révèle l’incessante transformation. Chaque siècle de même que chaque peuple, ayant en réalité des prédispositions morbides distinctes, peut et doit avoir ses remèdes préférés et rationnels. Ceux-ci peuvent aussi, sans trop d’inconséquence, fort différer entre eux tout en conservant, pendant une période déterminée, pareille nécessité d’application, pareille sûreté de résultats. Et l’on conçoit, par suite, que le cycle sans fin des événements humains rappelle tôt ou tard, avec un déroutant imprévu, des idées, des pratiques ou des systèmes dont le souvenir même s’était depuis longtemps effacé.

C’est à l’un de ces surprenants retours de fortune curative, que nous nous proposons de consacrer l’étude qui va suivre. Si l’aide encourageante de la forme parvient, au gré de nos désirs, à corriger l’aridité naturelle du fonds, le lecteur s’intéressera