Page:Revue scientifique (Revue rose), série 4, année 37, tome 14, 1900.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
75
M. LOUIS DELMAS. — L’OPTOTHÉRAPIE.



bien peu pour d’aussi brillants débuts. Mais ne différons pas davantage de rappeler, selon le but et les conditions de notre programme, les [barbares errements qu’elle a puissamment contribué à faire modifier ou définitivement chasser de la pratique médicale.

Pas n’est besoin de multiplier à ce sujet les investigations bibliographiques. Un [seul document, mais combien instructif, complet et détaillé! entraînera sûrement d’emblée l’entière édification du lecteur. Nous ne lui demanderons que de vouloir bien, si l’occasion s’en présente, jeter un simple coup d’œil sur l’Histoire générale des drogues, parle sieur Pomet, marchand épicier et droguiste, édité à Paris en 1645 avec l’approbation du célèbre Fagon et des illustrations médicales et pharmaceutiques de l’époque. Dans ce volumineux in-folio qu’enrichissent de luxueuses gravures en taille-douce, le consciencieux non moins qu’érudit commerçant s’attache avec un soin et une compétence qu’on ne lui soupçonnerait guère, a priori, à décrire jusque dans leurs plus minutieux détails les produits qui constituaient alors le fonds obligé d’un apothicaire soucieux de son renom. C’est tout à la fois la nomenclature officielle des drogues nécessaires à la médecine du temps et le critérium intransigeant des qualités qu’elles doivent offrir pour être honnêtement administrées. En voici quelques intéressants et significatifs extraits:

A tout seigneur tout honneur. C’est d’abord par l’exposé des conditions indispensables à la manifestation des propriétés curatives du « corps humain » considéré, soit dans son ensemble, soit dans ses principales parties, que s’ouvre cette magistrale dissertation. La multiplicité des maux qui sévissent sur notre corps n’a d’égale que celle des remèdes innés qu’il peut leur opposer directement sans recourir à l’aide, inépuisable sans doute mais souvent imprécise, des agents extérieurs. Vivant ou mort, entier ou divisé, l’organisme humain peut et doit suffire à l’entretien ou au rétablissement de sa santé ou de celle de ses semblables. Similia similibus ; disait plus tard avec plus de raison que de sens pratique, le nuageux fondateur de 1’ « Homéopathie ».

Mais le prototype par excellence de ces préparations ex homine, celle qui doit nécessairement, en théorie et en réalité, réunir la totalité absolue de nos agents médicamenteux intrinsèques, c’est l’incomparable « poudre de mumie ». — « On la choisira, dit le docte épicier droguiste, belle, luisante, bien noire, non remplie d’os ny de poussière, d’une bonne odeur, laquelle étant brûlée ne sente point la poix ». Cette dernière recommandation est, sans qu’il paraisse à première vue, de la plus haute importance. Une « mumie » qui « sent la poix » n’est en effet qu’une mumie de qualité inférieure, très sommairement préparée, « une mumie du commun », bonne tout au plus pour les pauvres gens, vu le prix inabordable des mumies supérieures. Et là-dessus l’étonnante érudition de l’auteur se déverse en une source quasi intarissable de documents inédits, autant que suggestifs, sur les divers modes d’embaumement que le culte des morts avait élevés chez les anciens, surtout chez les Égyptiens, à un degré de perfectionnement inimitable de nos jours. Il rappelle, ou pour mieux dire il apprend, avec toute l’autorité d’un maître expert, que les « mumies » se préparaient de trois manières différentes selon la classe et la fortune des défunts.

Pour les princes ou les riches, les rites opératoires étaient fort longs, coûteux et compliqués. Ils exigaient l’intervention successive ou simultanée de nombreux fonctionnaires ou artisans spécialistes, vivant exclusivement de ce travail funèbre. Tout d’abord, le « dessinateur », dont le fusain agile et exercé venait tracer sur le corps, exposé nu, les points précis où se devait faire l’ouverture. Ensuite le « disséqueur » objet de la réprobation universelle, qui suivait à la hâte, de son impur scalpel, les lignes indicatrices pouvant seules autoriser une pareille profanation et fuyait aussitôt, poursuivi des malédictions et des coups de tous les membres de la famille. Après lui le cortège sacré des « embaumeurs » enlevait pieusement chaque viscère, lavait l’intérieur du corps avec du vin de palmier et autres aromates, et le remplissait de baume et de résine de cèdre qu’on y maintenait pendant trente jours, pour les remplacer, au bout de ce temps, par de la poudre de myrrhe, de narv et de bitume. On respectait le crâne ; mais on retirait soigneusement le cerveau à l’aide de crochets en fer introduits par les fosses nasales, et le vide ainsi obtenu était purifié et comblé parles mêmes moyens que pour les autres cavités splanchniques. Enfin les «décorateurs peintres, émailleurs, orfèvres » achevaient cette œuvre fondamentale, mais grossière, en parant le corps, désormais incorruptible, de toutes les richesses de l’art asiatique et fixant la physionomie du mort dans la saisissante expression d’un sommeil hiératique, que d’impénétrables abris semblaient devoir éternellement protéger.

On conçoit aisément que la totalité des frais de ces multiples opérations.atteignit la somme, fort considérable pour l’époque, d’un grand talent d’or, c’est-à-dire environ 10 000 francs de notre monnaie. Et l’on comprend par suite à quel prix, mais en même temps avec quelle confiante efficacité, devait s’administrer la plus minime dose d’une aussi précieuse « mumie » quand l’authenticité allait exceptionnellement de pair avec l’habileté de la pulvérisation. On la verra de la sorte, pendant plus de quinze cents ans, de Dioscoride à Fagon, soit historiquement de