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PHYSIQUE.

Les hypothèses moléculaires[1].

Nos sens ne nous permettent pas de percevoir directement la matière au delà d’un certain degré de petitesse ; notre vue, par exemple, ne peut nous faire distinguer dans un objet des détails plus petits que le dixième de millimètre. Nous n’en concluons pas, cependant, que ces détails n’existent pas, et nous sommes naturellement conduits à nous demander comment nous percevrions l’univers si nos sens devenaient tout d’un coup plus subtils.

Les premières hypothèses moléculaires ont été sans doute proposées dans le but de répondre à cette question, sans peut-être qu’on remarquât assez qu’elle ne comportait pas de réponse définitive. Elles eurent, au début, un caractère uniquement philosophique, sans aucun rapport avec l’expérience. Les uns étaient partisans du « plein », de la matière indéfiniment continue : d’autres, au contraire, croyaient au « vide », au discontinu, aux « atomes » ; c’était là une question de goût. Nul ne songeait à une vérification expérimentale, et, pour être juste, dans l’état où se trouvait la science, nul n’y pouvait songer. Aussi, malgré la haute antiquité des hypothèses moléculaires, il n’y a guère plus d’un siècle qu’elles ont pénétré dans la véritable science, en se montrant capables d’expliquer simplement certains faits connus, et d’en faire découvrir de nouveaux. En ce sens, leur rôle n’a fait que grandir, et l’on peut aujourd’hui les considérer comme un des plus puissants outils de recherche que la raison humaine ait su créer.

Divisibilité de la matière — Tout d’abord, limitons le problème d’une façon nette : je ne veux ici parler que de ces matières dites homogènes, — corps purs ou solutions, — qu’étudient les chimistes ou les physiciens. Tels sont l’or ou l’eau. Même aux plus forts grossissements, ces corps apparaissent comme parfaitement continus, parfaitement « pleins ». De même, ils apparaissent comme indéfiniment divisibles, dans la limite actuelle de nos moyens d’investigation.

Il est bon d’indiquer, dès maintenant, jusqu’où nous savons aller dans ce morcellement de la matière.

Le microscope nous permet d’apercevoir des détails ayant seulement le quart d’un millième de millimètre. À ce propos, rappelons qu’on appelle micron le millième de millimètre. C’est une unité commode pour évaluer la grandeur d’objets extrêmement petits, comme sont les microbes. Le micron est au millimètre ce que le millimètre est au mètre.

Ainsi le microscope nous conduit jusqu’au quart de micron. Pour des raisons qui se rattachent à la nature ondulatoire de la lumière, il est d’ailleurs peu probable que le microscope, si bien construit qu’on le suppose, nous conduise jamais beaucoup au-delà du dixième de micron.

La division par voie mécanique nous conduit, en certains cas, aussi loin que le microscope. Par

  1. Conférence faite aux étudiants et aux amis de l’université de Paris, le 16 février 1901, par M. Jean Perrin, chargé du cours de Chimie à la Sorbonne.