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Page:Revue scientifique (Revue rose), série 4, année 38, tome 15, 1901.djvu/463

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M. JEAN PERRIN. — LES HYPOTHÈSES MOLÉCULAIRES.

gativement. Comme l’expérience montre d’ailleurs qu’il apparaît toujours autant d’électricité positive que d’électricité négative, nous sommes forcés de dire que le plus gros des deux morceaux qui proviennent de la rupture d’un atome est chargé positivement. Il a été facile de mettre hors de doute l’existence de ces gros fragments d’atomes, chargés positivement, de mesurer leur charge électrique, égale et de signe contraire à et de mesurer leur masse, trouvée sensiblement égale à la masse de l’atome, à peine diminuée par le départ du corpuscule négatif[1]. Je me borne à faire allusion à ces recherches dont l’exposé nous entraînerait trop loin.

Mais ce qu’il est essentiel de remarquer, c’est que les corpuscules négatifs paraissent toujours identiques entre eux, quelle que soit la nature chimique de l’atome dont on les détache. Par exemple, un corpuscule provenant d’un atome d’aluminium est identique au corpuscule provenant d’un atome de fer. Par suite, la réunion de ce dernier au reste positif de l’atome d’aluminium redonnerait l’atome ordinaire d’aluminium électriquement neutre, et de même la réunion de l’ion positif fer avec un corpuscule provenant d’aluminium donnera l’atome ordinaire de fer.

Pour la première fois, nous entrevoyons un moyen de pénétrer dans la constitution intime de l’atome. On fera, par exemple, l’hypothèse suivante, qui concorde avec les faits précédents.

Chaque atome serait constitué, d’une part, par une ou plusieurs masses très fortement chargées d’électricité positive, sorte de soleils positifs dont la charge serait très supérieure à celle d’un corpuscule, et d’autre part, par une multitude de corpuscules, sorte de petites planètes négatives, l’ensemble de ces masses gravitant sous l’action des forces électriques, et la charge négative totale équivalant exactement à la charge positive totale, en sorte que l’atome soit électriquement neutre.

Les planètes négatives qui appartiennent à deux atomes différents sont identiques ; s’il arrivait que les soleils positifs fussent aussi identiques entre eux, la totalité de l’univers matériel serait formée par le groupement de deux espèces seulement d’éléments primordiaux, l’électricité positive et l’électricité négative.

Si une force électrique suffisante agit sur un atome elle pourra détacher une des petites planètes, un corpuscule (formation de rayons cathodiques). Mais il sera deux fois plus difficile d’arracher un deuxième corpuscule en raison de l’excès de la charge positive totale, non altérée, sur la charge négative restante. Il sera trois fois plus difficile d’arracher un troisième corpuscule, et lorsque nos moyens d’action seront épuisés, nous n’aurons encore presque rien arraché de l’atome dont l’insécabilité apparente se trouve ainsi expliquée. Quant à arracher un soleil positif, ce serait tout à fait hors de notre puissance actuelle.

L’atome apparaît ainsi comme un tout gigantesque, dont la mécanique intérieure aurait pour base les lois fondamentales des actions électriques. Les durées de gravitation des différentes masses intérieures à l’atome correspondraient peut-être aux différentes longueurs d’onde des lumières que manifestent les raies du spectre d’émission.

Un calcul simple donne une première indication dans ce sens. Les rayons cathodiques détachés de l’aluminium par la lumière ultra-violette ont, d’après Lenard, une vitesse d’environ 1 000 kilomètres par seconde. Admettons que les corpuscules qui forment ces rayons avaient à peu près la même vitesse dans les atomes d’où la lumière les a détachés, et cherchons le temps que devait mettre un de ces corpuscules pour décrire avec cette vitesse la circonférence de l’atome d’aluminium ; c’est-à-dire d’après les dimensions de cet atome, environ 10-7 centimètres ; nous trouverons que la durée de cette gravitation (l’année de cette planète) est environ 10-15 secondes. Or les périodes de vibrations des raies de l’aluminium sont comprises entre 10-15 et 1/210-15 secondes. Il y a là une coïncidence remarquable, à ma connaissance non encore signalée[2].

Si l’atome est très lourd, c’est-à-dire probablement très grand, le corpuscule le plus éloigné du centre, — le Neptune du système —, sera mal retenu dans sa course par l’attraction électrique du reste de l’atome ; la moindre cause l’en détachera ; la formation de rayons cathodiques pourra devenir tellement facile que la matière paraisse spontanément radio-active ; tels sont l’uranium, le thorium, qui précisément ont les plus grands des poids atomiques sûrement connus ; tels paraissent être les nouveaux métaux fortement radio-actifs récemment découverts en France par Mme et M. Curie (1898) et par M. Debierne (1899).

Nous pouvons enfin concevoir que, pour les masses qui forment l’atome, il y ait plusieurs configurations stables possibles, plusieurs régimes permanents de gravitation possibles. À ces différents régimes correspondraient les différents types chimiques possibles pour un même atome (azote trivalent et pentavalent, fer des sels ferreux et fer des sels ferriques, etc.). Ainsi les progrès accomplis

  1. Les morceaux positifs ne diffèrent donc pas des ions positifs des solutions salines.
  2. Par un procédé tout différent, M. Langevin est arrivé en même temps que moi, à la même conclusion.