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M. G. ROGERON. — L’HIBERNATION DES HIRONDELLES ET LEUR HIVERNAGE.

font surgir de nouveaux problèmes : leur solution sera l’œuvre des années ou des siècles futurs. Je serais heureux si je vous avais donné l’impression que, somme toute, un pas considérable est déjà fait.

Jean Perrin.


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ZOOLOGIE.

L’hibernation des hirondelles et leur hivernage.

I

La question de l’hibernation des hirondelles a-t-elle progressé depuis que M. Magaud d’Aubusson l’a reprise en 1894 dans la Revue des sciences naturelles appliquées {Bulletin de la Société d’Acclimatation[1] ? Je ne le crois pas. Il semble qu’elle aurait plutôt fait un pas en arrière ; car depuis l’enquête qu’il a provoquée, plus de six années se sont passées, et il n’a pas été constaté, que je sache, un seul fait nouveau ; ce qui est fort étonnant pour une chose, présentant un vif intérêt de curiosité à une époque où on désire tout éclaircir, et surtout avec le zélé concours des membres de la Société d’Acclimatation, lesquels, répandus un peu partout et dans les lieux les plus divers, sont en excellente situation pour connaître par eux-mêmes et par leur entourage les faits de cette nature qui doivent naturellement se renouveler. Il semble, en effet, se produire de fâcheux pour cette thèse, que, plus nous nous éloignons du temps des vieilles légendes pour arriver à l’époque scientifique actuelle, plus cette hibernation perd de sa singularité primitive et même de sa réalité pour finir par sembler se transformer en simple hivernage chez nous ; ce qui est un fait présentant déjà un réel intérêt chez des oiseaux de cette nature.

N’a-t-on pas été jusqu’à prétendre qu’elles passaient la mauvaise saison en léthargie dans la vase des marais à la façon des grenouilles, que les pêcheurs les prenaient dans leurs filets avec le poisson au moment où elles remontaient sur l’eau au printemps ; un évêque d’Upsal, Olaüs Magnus, mort à Rome en 1568, dans sa Tabula rerum mirabilium, certifie le fait. Un siècle plus tard, cette croyance était toujours aussi vivace, puisque le savant jésuite Kircher va jusqu’à décrire leur immersion qui avait lieu à certaines époques où elles venaient se précipiter dans les puits, dans les citernes ; des savants du temps affirmaient les avoir vues. Quand on les trouvait ensuite endormies dans la vase, pelotonnées, accrochées les unes aux autres et qu’on les portait devant le feu, elles se ranimaient assez vite, mais pour mourir bientôt après, il leur fallait le réveil naturel avec la belle saison ; ce dernier réveil concordant avec celui de la nature inspirait les poètes de l’époque. Buffon se crut même obligé de consacrer plusieurs pages à la réfutation de cette antique croyance.

Ensuite on arriva à un genre d’hibernation moins empreint de merveilleux et plus en rapport avec les progrès des mœurs et de la science d’alors. Ce n’est plus au fond des eaux, mais dans des grottes qu’on les trouve suspendues par les pattes comme des chauves-souris ; cette idée était du reste renouvelée d’Aristote et de Pline qui n’étaient pas à ça près d’observations risquées et qui avaient sans doute confondu les mêmes bêtes. Le baron Dominique Larrey, que cite M. Magaud d’Aubusson, raconte dans sa Campagne d’Italie, qu’en passant en 1792 par la vallée de Maurienne il avait trouvé, dans une grotte profonde d’une montagne nommée l’Hirondelière, quantité d’hirondelles « suspendues, semblables à un essaim d’abeilles dans l’un des coins de la voûte » ; comme si c’était dans la nature de ces oiseaux de se cramponner ainsi les uns aux autres, comme s’il était même possible que des hirondelles pussent ainsi avoir prise entre elles sur leurs plumes glissantes pour se soutenir et former des grappes pareilles ! D’ailleurs, quand le baron Larrey voulant compléter ses souvenirs datant de près d’un demi-siècle, écrivit en 1840 à l’un de ses compatriotes, M. Gensen, en résidence à Briançon, pour le prier de recueillir, s’il lui était possible, des informations sur l’hibernation des hirondelles dans les grottes de la vallée de Maurienne et notamment dans celle dite l’Hirondelière, celui-ci ne put lui fournir aucun renseignement précis, même sur cette grotte, bien qu’il eût fait écrire pour cela aux directeurs des postes d’Aiguebelie et de Moustier. Le premier ne lui répondit rien d’intéressant sur cette grotte, le second lui disait que « ni la province de Tarentaise qu’il habitait, ni celle de Maurienne ne possédaient cette grotte dite l’Hirondelière. Moustier n’a qu’une source d’eau salée souterraine où il existe, en effet, quantité de chauves-souris attachées en monceaux aux voûtes… » (ces monceaux de chauves-souris ressemblent singulièrement aux essaims d’hirondelles vus par le baron Larrey). « Il n’existe de grotte proprement dite que sur la route de Chambéry à Lyon. Ce lieu, en effet, cache des hirondelles, où j’ai écrit en vain, avec le directeur (sic) ». Cette dernière phrase est absolument inintelligible.

La vallée de Maurienne, qui sert de passage pour se rendre en Italie, n’est cependant pas un endroit tellement éloigné et inaccessible qu’on n’ait pu depuis 1792 y aller vérifier un fait aussi intéressant, surtout après qu’Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire s’en fût occupé[2], en 1838, ou au moins depuis l’ouverture de l’enquête de M. Magaud d’Aubusson. Mais si cette grotte n’existe même pas, ou si elle existe dans un autre endroit, comme

  1. Octobre 1894.
  2. Bulletin de la Société d’Acclimatation, 5 novembre 1894, p. 426.