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Page:Revue scientifique (Revue rose) année 47, 2e semestre, 1909.djvu/7

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hommage à la France renouvelée de quelque découverte ; et il n’est pas de branche de la Science où ils n’aient apporté, eux aussi, quelque révolution. La méthode naturelle de de Jussieu a supplanté le système de Linné ; Haüy fixe les lois de la formation des cristaux, et, si Lacépède se borne à imiter de loin l’Histoire des animaux de Buffon, Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire abordent le grand problème de la naissance de la vie et des transformations des êtres ; auprès d’eux, Cuvier, par sa reconstitution des animaux fossiles, fondée sur ses connaissances précises et étendues d’Anatomie comparée, crée la Paléontologie rêvée par Buffon. De ces grands hommes, le plus illustre, après Darwin, des naturalistes anglais, Huxley, a dit : « En France, on considère généralement Geoffroy Saint-Hilaire comme le premier des naturalistes philosophes, mais Buffon et Lamarck sont des géants ; Cuvier ne vient qu’après eux. » Les découvertes de Cuvier sont effectivement des découvertes de fait ; ses principes philosophiques sont ceux d’Aristote ; sa cosmogonie celle de la Genèse ; il garde jalousement le trésor d’idées générales acquises avant lui. Geoffroy, du moins, défend une idée philosophique si féconde qu’elle donne aux disciples même de Cuvier leur méthode de travail ; devant une charge à fond de Cuvier, il doit abandonner quelques-unes de ses positions, mais sa retraite est toute semée de brillantes découvertes ; l’unité de plan qu’il avait cru apercevoir dans l’organisation des animaux, il la retrouve dans leur développement embryogénique. Ce développement commence toujours de même, mais il s’arrête plus ou moins tôt ; les animaux inférieurs sont simplement ceux qui n’ont pas poursuivi jusqu’au bout l’évolution qui n’a atteint sa complète réalisation que chez l’homme. Les diverses étapes de l’évolution embryogénique des animaux supérieurs reproduisent donc les formes définitives des animaux inférieurs. C’est encore la loi fondamentale de l’Embryogénie.

Lamarck, comme Buffon, échappe tout à la fois aux philosophes et aux théologiens. C’est un savant qui travaille exclusivement sur son propre fonds ; ses idées géniales ne doivent rien à autrui ; elles résultent de ses observations et de ses raisonnements personnels. Sa préoccupation constante est la découverte des causes. Comme le néant éternel est plus facile à imaginer que l’existence même de l’Univers, il ne considère pas comme absolument nécessaire de refuser un nom à la cause première, impénétrable et inconnue de tout ce qui existe, ce qui est au fond la seule originalité de l’athéisme, mais il n’admet pas d’intervention capricieuse et personnelle de cette cause. S’il s’incline, suivant une expression qui lui est familière, devant le sublime auteur de toutes choses, ce sublime auteur est, avant tout, le créateur des substances, des forces et des lois immuables suivant lesquelles s’accomplissent les phénomènes. Ces lois dominent l’évolution du monde sans qu’aucune perturbation soit jamais possible ; elles sont les mêmes pour les corps inertes et pour les êtres vivants, qui, malgré leurs propriétés particulières, ne sauraient leur échapper ; c’est strictement le déterminisme rigoureux sur lequel la Science moderne s’enorgueillit d’avoir assis toutes ses doctrines.

Les substances, les forces, les lois, c’est ce que Lamarck appelle aussi la Nature ; cette nature impersonnelle et inconsciente n’est, en définitive, que le monde, ou plutôt toutes ses puissances en activité, et c’est dans ce sens qu’il peut dire que tous les êtres vivants sont des œuvres de la Nature, de cette nature que d’autres ont qualifiée de Natura naturans. Comment, de ces puissances aveugles, la vie, avec ses conséquences ultimes, l’intelligence et la raison, a-t-elle pu surgir ? Lamarck repousse l’idée, si longtemps admise encore après lui, d’un fluide vital particulier. Sans doute, les corps vivants, essentiellement formés de substances souples, spéciales, et de liquides qui les pénètrent, demeureraient inertes si quelque ressort ne leur apportait le mouvement ? Mais pourquoi imaginer un fluide nouveau quand la Physique dispose déjà de tant de fluides subtils, plus nombreux peut-être qu’on ne suppose et d’une si grande mobilité ? La chaleur, en particulier, ne suffit-elle pas à entretenir les substances capables de vie dans un état de tension que l’électricité, sous forme de fluide nerveux, vient ensuite par instants modifier pour produire le mouvement ? La matière vivante a la même origine que toute autre ; la chaleur, l’électricité sont partout présentes ; un acte de création spécial n’a donc pas été nécessaire pour faire naître la Vie, et rien ne s’oppose à ce que les conditions qui lui ont donné naissance puissent être réalisées autour de nous. Les premiers organismes ont été fort simples ; ils se sont ensuite graduellement compliqués par l’exercice même de la vie dans les conditions diverses qui ont été réalisées sur le globe. L’état et l’ordre de choses que produit en eux la vie met les forces et les lois auxquelles tous les corps obéissent dans des conditions d’action spéciales, dont les effets ne sauraient être les mêmes que pour les corps inertes ; ainsi, les corps vivants se régénèrent sans cesse et créent des substances qui ne se retrouvent pas ailleurs et qui viennent accroître leur masse.

Précurseur de Claude Bernard, Lamarck ne voit aucune différence essentielle entre les animaux et les végétaux, au point de vue des facultés caractéristiques de la vie ; seulement les végétaux ne se nourrissent que de substances fluides, à l’aide desquelles ils préparent les matières composées dont les animaux font leurs aliments exclusifs, et qu’ils