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Page:Revue scientifique (Revue rose) année 47, 2e semestre, 1909.djvu/8

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élaborent de manière à constituer les substances plus complexes qui leur sont propres.

Les êtres vivants n’atteignent jamais qu’à des dimensions limitées ; quand ils les ont atteintes, l’excédent de la nutrition est employé à former une partie qui se sépare de leur corps et constitue peu à peu un nouvel individu semblable à celui d’où il s’est détaché ; ces gemmes ou bourgeons ne se produisent que chez les organismes très simples. Mais, en général, les matériaux préparés pour la nutrition, et qui sont d’autant de sortes qu’il y a de parties différentes dans un corps, contribuent, en abandonnant chacun quelques particules, à la formation d’un très petit corps organisé, spécialement destiné à devenir un organisme nouveau. Darwin, Hæckel, Weismann, de Vries n’ont pas trouvé de meilleure explication de la transmission des caractères des parents à leurs descendants.

La substance qui forme le corps tout entier des organismes inférieurs est un tissu cellulaire identique à lui-même dans toutes les parties de ce corps, comme on peut l’observer chez les algues submergées. Les mouvements des fluides de la racine aux feuilles et des feuilles à la racine creusent, dans le tissu des végétaux terrestres, des canaux parallèles fort simples, tandis que les frottements, les compressions, les chocs auxquels le végétal est exposé, transforment, à sa surface, le tissu cellulaire en écorce. C’est là toute l’œuvre de la vie chez les végétaux ; cette œuvre est autrement compliquée chez les animaux, en raison de la consistance autre de leur substance fondamentale et des mouvements plus variés des fluides qu’elle contient ; les compressions plus ou moins énergiques et en sens divers qu’ils exercent sur les différents points du tissu cellulaire y construisent les organes et, parmi ceux-ci, le système nerveux.

Tant que celui-ci n’existe pas, l’organisation des animaux ne s’élève guère au-dessus de celle des végétaux. Avec le système nerveux apparaissent le sentiment, puis l’intelligence ; dès lors, l’animal devient maître de ses organes ; il les emploie à son gré, en raison des besoins que font naître chez lui les circonstances dans lesquelles il se trouve placé. La persistance des mêmes besoins détermine le fonctionnement habituel de certains organes, le repos de certains autres. Chaque organe acquiert un degré de développement proportionné à son degré d’activité ; ceux qui n’agissent pas s’atrophient et disparaissent. La diversité des circonstances extérieures entraîne donc la diversité dans l’organisation, qui change peu à peu quand ces circonstances se modifient, et demeure fixe tant qu’elles persistent. Après un temps suffisamment long, les modifications survenues finissent par se perpétuer spontanément de génération en génération : elles sont devenues héréditaires. À mesure que le système nerveux se développe, que d’apathiques les animaux deviennent sensibles, puis intelligents, les besoins ressentis sont plus variés, les actes qu’ils provoquent plus multipliés ; l’organisme va se compliquant, et tous ses progrès s’accomplissent sans que jamais puisse être brisée l’harmonie entre l’organisation des animaux, les actes qu’ils sont capables d’exécuter et le milieu dans lequel ils vivent. Façonnés par ce milieu, ils semblent faits pour lui. Si on les suppose immuables et passifs, ils ne peuvent être que l’œuvre délicate d’une providence miraculeusement prévoyante et soucieuse de distribuer à chacun son rôle dans un univers admirablement machiné d’avance jusque dans les moindres détails. Dans l’hypothèse de Lamarck, au contraire, un ordre merveilleux s’établit et se maintient spontanément dans le monde, parce que rien n’y est livré au hasard, parce que tout s’y régularise mathématiquement, parce que les forces sont dirigées par des lois jamais transgressées, parce que leurs effets se produisent lentement, mais sûrement, et que rien ne se produit que conformément à ces lois. Il n’y a donc jamais eu de catastrophe universelle, de destruction générale des êtres vivants, comme le pensait Cuvier.

Sans doute, il se fait sur la Terre une effroyable consommation d’existences ; les animaux ne vivent que par le sacrifice de plantes innombrables ; les plus petits d’entre eux sont, en outre, dévorés par les plus gros ; mais leur multiplication est tellement rapide que, sans cet écrasement, le monde finirait par leur appartenir ; ce sont des victimes nécessaires pour que chaque espèce conserve dans l’ordre général la place qui lui revient, pour qu’aucune d’elles ne disparaisse. Les individus meurent, les lignées auxquelles ils appartiennent ne s’éteignent pas. Les espèces que l’on croit perdues se retrouveront sans doute dans quelque région de la Terre actuellement inaccessible, ou dans les abîmes immuables et tranquilles de la mer ; mais la plupart se sont sans doute modifiées peu à peu, de manière à devenir méconnaissables. Elles se transforment sans doute encore ; si nous ne constatons pas actuellement leurs modifications, c’est que, par rapport au temps qu’elles mettent à se produire, la durée de chacun de nous n’est qu’un éclair entre la nuit sans commencement qui le précède et la nuit sans fin qui le suit. Tout au plus peut-on admettre qu’en raison de l’exceptionnelle puissance de destruction qu’il possède, l’Homme ait fait disparaître quelques grandes espèces, comme les Palaeotherium, Anoplotherium, Megalonyx, Megatherium, Mastodon.

Nous voilà bien loin de la doctrine de Darwin et aussi, il faut bien le dire, de la cruelle réalité. La