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M. PIERRE TERMIER. — L’ATLANTIDE

Conclusion nécessaire : toute une région au nord des Açores, comprenant peut-être les Açores et dont ces îles, dans ce cas, ne seraient que les ruines visibles, s’est effondrée tout récemment, probablement à cette époque que les géologues appellent actuelle tant elle est récente, et qui, pour nous, les vivants d’aujourd’hui, est quelque chose comme hier.

Si vous vous rappelez maintenant ce que je vous disais tout à l’heure de l’inégalité extrême des fonds au sud et au sud-ouest des Açores, vous penserez avec moi qu’un dragage minutieux donnerait, au sud et au sud-ouest de ces îles, les mêmes résultats qu’ont donnés, au nord, les opérations de repêchage du câble télégraphique. Et devant vos yeux s’agrandira alors, presque démesurément, la région effondrée, la région qui s’est brusquement abîmée hier, et dont les Açores ne sont plus que les témoins, échappés à l’écroulement général.

Mais voici d’autres faits, toujours de l’ordre géologique. L’abîme atlantique, presque tout entier semble être de date relativement récente ; et, avant l’effondrement de la région açorienne, d’autres effondrements s’y étaient produits, dont l’ampleur, plus aisément mesurable, confond l’imagination.

Depuis qu’Eduard Suess et Marcel Bertrand nous ont appris à regarder la planète, et à déchiffrer les lentes ou rapides transformations de son visage à travers les injures des siècles sans nombre, nous avons acquis la certitude de l’existence d’une très ancienne liaison continentale entre le nord de l’Europe et le nord de l’Amérique, et d’une autre liaison continentale, très ancienne aussi, entre la massive Afrique et l’Amérique du Sud. Il y a eu un continent nord-atlantique comprenant ensemble la Russie, la Scandinavie, la Grande-Bretagne, le Groenland, le Canada, auquel s’est agrégée plus tard une bande méridionale, faite d’une grande partie de l’Europe centrale et occidentale et d’un immense morceau des États-Unis. Il y a eu aussi un continent sud-atlantique, ou africano-brésilien, allant au nord jusqu’au bord méridional de l’Atlas, à l’est jusqu’au golfe Persique et au canal de Mozambique, à l’ouest jusqu’au bord oriental des Andes et aux sierras de Colombie et de Venezuela. Entre les deux continents passait la dépression méditerranéenne, cet antique sillon maritime, de largeur incessamment variable, qui forme écharpe autour de la Terre depuis le début des temps géologiques, et que nous voyons encore si profondément marqué dans la Méditerranée actuelle, la mer des Antilles et la mer de la Sonde. Une chaîne de montagnes, plus large que la chaîne des Alpes, et peut-être aussi haute, en quelques-unes de ses parties, que le majestueux Himalaya, s’est dressée autrefois sur le bord méditerranéen du continent nord-atlantique, embrassant les Vosges, le Plateau Central français, la Bretagne, le sud de l’Angleterre et de l’Irlande, et aussi Terre-Neuve, la Nouvelle-Écosse et, dans les États-Unis, toute la région des Appalaches. Les deux côtes qui se regardent, à 3 000 kilomètres de distance, par-dessus les eaux atlantiques, celle de la Bretagne, de Cornouailles, du sud de l’Irlande d’une part, celle de Terre-Neuve et de la Nouvelle-Écosse d’autre part, sont parmi les plus belles côtes à rias qui soient au monde : et leurs rias se font face. Dans l’une comme dans l’autre, les plis de l’ancienne chaîne sont coupés brusquement, et souvent normalement, par le rivage ; et les lignes directrices de la chaîne européenne se prolongent exactement par celles de la chaîne américaine. Ce sera, dans quelques années, une des joies des océanographes, de constater, en levant la carte détaillée des fonds entre l’Irlande et Terre-Neuve, la persistance d’une allure plissée, d’une allure montagneuse orientée, sur l’emplacement de cette vieille chaîne engloutie.

Cette vieille chaîne a reçu de Marcel Bertrand le nom de chaîne hercynienne. Eduard Suess la nomme chaîne des Altaïdes, parce qu’elle vient de la lointaine Asie ; et les Appalaches, pour lui, ne sont plus que les Altaïdes américaines.

Ainsi, la région de l’Atlantique, jusqu’à une époque de ruine dont le début ne peut pas être précisé, mais dont la fin est tertiaire, c’est-à-dire relativement récente, a été occupée par une masse continentale, que bordait, au sud, une chaîne de montagnes : et tout cela s’est effondré, bien avant l’effondrement de ces terres volcaniques dont les Açores semblent être les derniers vestiges. À la place de l’Atlantique Sud, il y a eu, de même, pendant bien des milliers de siècles, un grand continent maintenant descendu très profondément sous la mer. Il est probable que ces mouvements de descente se sont produits en plusieurs fois, les contours de la Méditerranée qui séparait alors les deux continents se modifiant fréquemment au cours des âges. Dès le milieu du Crétacé, la Méditerranée s’avançait jusqu’aux Canaries, et son rivage méridional, à ce moment-là, était très près de l’emplacement aujourd’hui occupé par ces îles : nous avons, à ce sujet, un précieux repère, récemment trouvé par M. Pitard, et très exactement daté par MM. Cottreau et Lemoine. La région des îles du Cap Vert, à la même époque, appartenait encore au continent africano-brésilien.

Pendant que la Méditerranée, en cette région atlantique, s’agrandissait par l’effondrement graduel de ses rivages, elle se morcelait peut-être, et, en tout cas, son fond s’accidentait, par la propagation au-dessous d’elle de nouveaux plis et de nouvelles rides. Dans ce large et profond sillon, où les