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M. PIERRE TERMIER. — L’ATLANTIDE

les tremblements de terre sont fréquents ; çà et là, des îlots, brusquement, surgissent de la mer, ou des écueils, depuis longtemps connus, disparaissent. La continuité de ces phénomènes est masquée par l’océan ; mais, pour le géologue, elle n’est pas douteuse. La zone volcanique de l’Atlantique oriental est comparable en longueur, en largeur, en activité éruptive ou sismique, à celle qui forme le bord occidental de l’Amérique et coïncide, dans le sud, avec la Cordillère des Andes ; elle est un des traits caractéristiques du visage actuel de la Terre, tout comme la ceinture de feu de l’océan Pacifique. Or, il n’y a pas de volcan sans un effondrement, ou tout au moins sans un affaissement de quelque morceau de l’écorce terrestre. Les volcans de la ceinture de feu du Pacifique jalonnent le bord d’une fosse marine profonde qui fait le tour de cet océan, et qui, sans doute, n’a pas fini de s’approfondir ; les volcans de la Méditerranée se dressent sur la margelle de grands abîmes récemment ouverts et où d’énormes montagnes sont descendues. Il faut donc qu’il y ait aussi, dans le fond de l’océan Atlantique, actuellement encore, une certaine mobilité, et que la ride médiane de ce fond, déjà surélevée, n’ait pas terminé son mouvement relatif d’ascension par rapport à la dépression orientale. Tandis que les rivages continentaux de cet océan paraissent maintenant immobiles, et cent fois plus impassibles que les rivages de la mer Pacifique, le fond de l’Atlantique bouge, dans toute la zone orientale, large d’environ 3 000 kilomètres, qui comprend à la fois l’Islande, les Açores, Madère, les Canaries et les îles du Cap Vert. C’est là, actuellement, une zone instable de la surface de la planète ; et, dans une telle zone, les plus terribles cataclysmes peuvent, à chaque instant, survenir.

Il en est certainement survenu, et qui ne datent que d’hier. Je demande à tous ceux que préoccupe le problème de l’Atlantide d’écouter attentivement et de graver dans leur esprit cette brève histoire : il n’en est pas de plus significative. Dans l’été de 1898, un navire était employé à la pose du câble télégraphique sous-marin qui relie Brest au cap Cod. Le câble avait été rompu ; et on cherchait à le repêcher, au moyen de grappins. C’était par 47° 0′ de latitude nord et 29° 40′ de longitude à l’ouest de Paris, à 500 milles environ au nord des Açores. La profondeur moyenne était d’à peu près 1 700 brasses, ou 3 100 mètres. Le relevage du câble présenta de grandes difficultés, et il fallut, pendant plusieurs jours, promener les grappins sur le fond. On constata ceci : le fond de la mer, dans ces parages, présente les caractères d’un pays montagneux, avec de hauts sommets, des pentes roides et des vallées profondes. Les sommets sont rocheux, et il n’y a de vases que dans le creux des vallées. Le grappin, en parcourant cette surface très tourmentée, se prenait constamment dans des roches à pointes dures et à arêtes vives ; il revenait presque toujours cassé ou tordu, et les tronçons remontés portaient de grosses et larges stries et des traces de violente et rapide usure. À plusieurs reprises, on trouva entre les dents du grappin de petites esquilles minérales, ayant l’aspect d’éclats récemment brisés. Toutes ces esquilles appartenaient au même genre de roches. L’avis unanime des ingénieurs qui assistaient au dragage fut que les éclats en question avaient été détachés d’une roche nue, d’un véritable affleurement, acéré et anguleux. La région d’où provenaient les éclats était d’ailleurs précisément celle où les sondages avaient révélé les plus hauts sommets sous-marins et l’absence presque complète de vases. Les esquilles, ainsi arrachées à des affleurements rocheux du fond de l’Atlantique, sont d’une lave vitreuse, ayant la composition chimique des basaltes et appelée tachylyte par les pétrographes. Nous conservons quelques-uns de ces précieux fragments au Musée de l’École des Mines de Paris.

Le fait a été signalé en 1899 à l’Académie des Sciences. Peu de géologues en ont, à ce moment-là, compris la très grande portée. Une telle lave, entièrement vitreuse, comparable à certains verres basaltiques des volcans des îles Sandwich, n’a pu se consolider à cet état que sous la pression atmosphérique. Sous plusieurs atmosphères, et à plus forte raison sous 3 000 mètres d’eau, elle aurait certainement cristallisé. Elle nous apparaîtrait formée de cristaux enchevêtrés, au lieu d’être faite uniquement de matière colloïdale. Les études les plus récentes ne laissent, à ce sujet, aucun doute ; et je me contenterai de rappeler l’observation de M. Lacroix sur les laves de la montagne Pelée de la Martinique : vitreuses, quand elles se figent à l’air libre, ces laves se remplissent de cristaux dès qu’elles se refroidissent sous un manteau, même peu épais, de roches antérieurement solidifiées. La terre qui constitue aujourd’hui le fond de l’Atlantique, à 900 kilomètres au nord des Açores, a donc été couverte de coulées de laves quand elle était encore émergée. Elle s’est, par conséquent, effondrée, descendant de 3 000 mètres ; et comme la surface des roches y a gardé l’allure tourmentée, les rudes aspérités, les arêtes vives des coulées laviques très récentes, il faut que l’effondrement ait suivi de très près l’émission des laves, et que cet effondrement ait été brusque. Sans cela, l’érosion atmosphérique et l’abrasion marine eussent nivelé les inégalités et aplani toute la surface. Continuons le raisonnement. Nous sommes ici sur la ligne qui joint l’Islande aux Açores, en pleine zone volcanique atlantique, en pleine zone de mobilité, d’instabilité et de volcanisme actuels.