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M. PIERRE TERMIER. — L’ATLANTIDE

encore approfondi dans les temps quaternaires, c’est-à-dire tout près de nous.

Telles sont les données de la géologie. Extrême mobilité de la région atlantique, surtout à la rencontre de la dépression méditerranéenne et de la grande zone volcanique, large de 3 000 kilomètres, qui court, du sud au nord, dans la moitié orientale de l’océan actuel ; certitude de la survenue d’immenses effondrements, où des îles, et même des continents, ont disparu ; certitude que quelques-uns de ces effondrements datent d’hier, sont d’âge quaternaire, et qu’ils ont pu, par conséquent, être vus par l’homme ; certitude que quelques-uns ont été soudains, ou tout au moins très rapides. Voilà de quoi encourager ceux qui se fient encore au récit de Platon. Géologiquement parlant, l’histoire platonicienne de l’Atlantide est extrêmement vraisemblable.

Consultons maintenant les zoologistes. C’est un jeune savant français, M. Louis Germain, qui va nous répondre : et je regrette vraiment beaucoup de ne pouvoir lui donner réellement la parole et de n’être ici que son très insuffisant interprète.

Tout d’abord, l’étude de la faune terrestre actuelle des îles des quatre archipels, Açores, Madère, Canaries, Cap-Vert, a convaincu M. Germain de l’origine nettement continentale de cette faune ; il y relève même de nombreux indices d’une adaptation à la vie désertique. En particulier, la faune malacologique se rattache à celle de la région circaméditerranéenne, tandis qu’elle diffère de la faune équatoriale africaine. Les mêmes analogies avec la faune circaméditerranéenne s’observent dans les Mollusques du Quaternaire.

En second lieu, les formations quaternaires des Canaries ressemblent à celles de la Mauritanie et renferment les mêmes espèces de Mollusques, par exemple les mêmes Helix.

De ces deux premiers faits se dégage, pour M. Germain, cette conclusion nécessaire, que les quatre archipels ont été liés au continent africain jusqu’à une époque très voisine de la nôtre, tout au moins jusque vers la fin du Tertiaire.

Troisième fait : il y a, dans les Mollusques actuels des quatre archipels, des espèces qui semblent être les survivantes d’espèces fossiles du Tertiaire européen ; et pareille survivance existe aussi dans la série végétale, une fougère, l’Adiantum reniforme, actuellement disparue d’Europe, mais connue dans le Pliocène du Portugal, continuant aujourd’hui de vivre aux Canaries et aux Açores.

M. Germain déduit de ce troisième fait la liaison, jusqu’aux temps pliocènes, avec la péninsule ibérique, du continent qui embrassait les archipels ; et la coupure de cette liaison pendant le Pliocène.

En quatrième lieu, les Mollusques Pulmonés qu’on appelle Oleacinidæ ont une répartition géographique singulière. Ils ne vivent que dans l’Amérique centrale, les Antilles, le bassin méditerranéen, et les Canaries, Madère et les Açores. En Amérique, ils ont gardé la grande taille qu’ils avaient en Europe à l’époque miocène ; dans le bassin méditerranéen et dans les îles atlantiques, ils se sont fortement rapetisses.

Cette répartition géographique des Oleacinidæ implique évidemment l’extension jusqu’aux Antilles, aux débuts du Miocène, du continent qui embrassait Açores, Canarien et Madère, et l’établissement, pendant le Miocène ou vers sa fin, d’une coupure entre les Antilles et ce continent.

Restent deux faits, relatifs aux animaux marins, et qui paraissent ne pouvoir s’expliquer, l’un et l’autre, que par la persistance, jusque très près des temps actuels, d’un rivage maritime courant des Antilles au Sénégal, et, même, reliant la Floride, les Bermudes et le fond du golfe de Guinée. Quinze espèces de Mollusques marins vivent à la fois dans les Antilles et sur les côtes du Sénégal, et ne vivent pas ailleurs, sans que cette coexistence puisse s’expliquer par le transport des embryons. D’autre part, la faune de Madréporaires de l’île San-Thomé, étudiée par M. Gravier, comprend six espèces : une ne vit, en dehors de San-Thomé, que dans les récifs de la Floride ; et quatre autres ne sont connues qu’aux Bermudes. Comme la durée de la vie pélagique des larves de Madréporaires est seulement de quelques jours, il est impossible d’attribuer au jeu des courants marins cette étonnante répartition.

En tenant compte de tout cela, M. Germain est conduit à admettre l’existence d’un continent atlantique lié à la péninsule ibérique et à la Mauritanie, et se prolongeant assez loin vers le Sud, de façon à posséder quelques régions au climat désertique. Au Miocène encore, ce continent va jusqu’aux Antilles. Il se morcelle ensuite, d’abord du côté des Antilles, puis dans le Sud, par l’établissement d’un rivage marin qui va jusqu’au Sénégal et jusqu’au fond du golfe de Guinée, puis enfin dans l’Est, probablement au Pliocène, le long de la côte d’Afrique. Le dernier grand débris, finalement abîmé et n’ayant plus alors laissé d’autres vestiges que les quatre archipels, serait l’Atlantide de Platon.

Je me garderai bien, dans mon incompétence, d’émettre le moindre avis sur la valeur zoologique des faits signalés par M. Germain et sur le degré de certitude des conclusions qu’il en tire. Mais comment n’être pas frappé de la concordance presque absolue de ces conclusions zoologiques et de celles où nous a conduits la Géologie ? Et qui pourrait maintenant, en présence d’un accord aussi complet, établi sur des arguments si différents,