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Page:Revue scientifique (Revue rose) année 51, 1er semestre, 1913.djvu/745

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sont bien intéressantes à ce point de vue [1]. Accusé par ses contemporains de matérialisme et d’athéisme, il est aujourd’hui « réclamé par les spiritualistes les plus convaincus [2] ». Et cela se comprend ! En présence des dangers que faisait courir au dogme la nouvelle biologie, on a cru, il y a cent ans, qu’on pourrait étouffer dans l’œuf cette science dangereuse ; et, de fait, Cuvier aidant, on y a réussi. Puis, les idées ont marché, et l’on a pu croire que le transformisme allait conquérir le monde ; alors on a pris ses précautions, et l’on a montré que Lamarck lui-même est déiste ; cette discussion ayant pris dans le public une importance assez grande, l’éditeur a cru devoir reproduire en tête du présent volume toute la sixième partie de l’Introduction de l’Histoire naturelle des animaux sans vertèbres. On y verra l’attitude exacte du fondateur de l’évolution vis-à-vis du dogme, et l’on se fera à ce sujet une opinion plus justifiée que celle que l’on tirerait de citations habilement tronquées par des commentateurs de parti-pris. Voici, sur cette question intéressante, l’opinion de l’homme qui s’est efforcé de faire de Lamarck l’étude la plus impartiale et la plus documentée :

« On a voulu voir dans Lamarck le premier moniste : sans doute, par sa conception de l’unité de la nature, par celle de l’unité de la matière, par celle de l’unité d’origine des êtres vivants jusques et y compris l’homme, il prélude au grand mouvement moniste contemporain ; mais il n’en reste pas moins déiste indiscutable, quoique peu orthodoxe, en admettant à l’origine du monde une divinité créatrice : concession plus de norme que de fond certainement, mais qui le classe cependant parmi les dualistes [3] ».

En réalité, cette querelle n’a d’intérêt que pour les partisans de l’argument d’autorité ; même les plus grands fondateurs sont des hommes de leur temps ; il était peut-être impossible que Lamarck ne fût pas déiste ; un savant n’a le droit de raisonner que sur ce qui est accessible à l’étude scientifique, il ne saurait donc se permettre de nier l’existence d’un Dieu qui, après avoir créé le monde et lui avoir dicté ses lois, se serait ensuite reposé pour l’éternité, laissant les choses suivre le cours imposé d’avance à tout par sa volonté créatrice ; pour le savant observateur, ce Dieu est en effet comme s’il n’était pas ; chacun peut y croire s’il le veut ; c’est une affaire de tempérament. Lisez cependant, plus bas, le premier et le dernier alinéa du chapitre intitulé : « Quelques observations relatives à l’homme », et vous en tirerez vraisemblablement la conclusion que l’attitude de Lamarck vis-à-vis des dogmes religieux est une attitude de précaution plutôt qu’une attitude de conviction. Un savant qui a créé un système ne peut se résoudre à condamner ce système à l’impuissance en heurtant de front les croyances de ses contemporains. Or, il me semble que, sans se reporter à aucune citation précise de la Philosophie zoologique, et par la seule considération de l’ensemble de cette œuvre révolutionnaire, on ne peut s’empêcher de révoquer en doute la croyance de Lamarck en un Dieu créateur. Pour un esprit réfléchi, la création d’un atome ex nihilo est en effet un mystère aussi insondable que la création d’un homme vivant et pensant ; si donc le génie de Lamarck s’était prêté à la conception d’un Dieu créateur de la nature avec ses lois, il n’aurait pas dépensé tant d’efforts pour montrer que les êtres supérieurs ont pu résulter des lois naturelles sans l’intervention d’un Dieu. Mais, je le répète, toute cette querelle n’a pas d’intérêt philosophique ; seuls les esprits soumis à l’argument d’autorité peuvent attacher de l’importance à l’opinion personnelle d’un savant sur les questions autres que celles qu’il a traitées ; l’œuvre de Lamarck nous reste ; tirons-en les conclusions scientifiques qu’elle comporte, et ne nous livrons pas au jeu stérile de deviner si un homme mort depuis plus de quatre-vingt ans a pensé autrement qu’il n’a écrit.

Si Lamarck a fait preuve d’un génie prodigieux en inaugurant le système transformiste, il a été peut-être plus extraordinaire encore en trouvant, du premier coup, les lois fondamentales de l’évolution des êtres vivants, et en écartant immédiatement les phénomènes secondaires qui ont égaré Darwin et ses disciples. On trouvera (au chapitre VII de la Philosophie zoologique), l’énoncé des deux principes qui expliquent toute l’histoire des lignées vivantes. Le premier est le principe du développement des organes par l’habitude ; le second est celui de la transmission héréditaire des caractères acquis par le fonctionnement habituel. Il est permis de dire que ces deux principes résument toute la Biologie. On en a cependant nié la valeur :

1o Des transformistes avérés ont dit que les deux principes de Lamarck sont insuffisants, et qu’il leur en faut ajouter de nouveaux ;

2o D’autres naturalistes, qui, cependant, se croient

  1. M. Marcel Landrieu a consacré à Lamarck un livre qui est un monument. Sous le titre Lamarck, le fondateur du transformisme, sa vie et son œuvre, il a réuni, avec une piété vraiment filiale, tout ce qui peut intéresser les admirateurs de notre grand évolutionniste. On trouvera, dans ce livre, l’histoire de l’accueil fait à ses idées au commencement du XIXe siècle et celle du renouveau actuel du Lamarckisme. Ce livre est publié par la Société zoologique de France.
  2. Landrieu, op. cit., p. 387.
  3. Landrieu, op. cit., p. 387.