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Page:Revue scientifique (Revue rose) année 51, 1er semestre, 1913.djvu/746

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transformistes, ont nié, non pas la puissance explicative, mais la vérité même des principes de Lamarck ;

3o Enfin, tout récemment, on a voulu établir que l’évolution des espèces procède par bonds, et que les variations lentes étudiées par Lamarck n’ont aucune valeur comme agents de transformation spécifique.

Nous allons passer rapidement en revue ces trois séries d’objections. Bornons-nous, pour la première série, à l’objection célèbre de l’un des plus notoires transformistes, Ernst Hæckel :

« Pour Lamarck, dit-il, dans son Histoire de la Création naturelle, l’adaptation consiste seulement dans une relation entre la modification lente et constante du monde extérieur et un changement correspondant dans les activités et, par suite, les formes des organismes. Il attribue, à cet effet, le rôle principal à l’habitude, à l’usage et au défaut d’usage des organes. Sans doute, c’est là un agent extrêmement important de la métamorphose des formes organiques. Cependant, il est le plus souvent impossible d’expliquer par cette seule influence la modification des formes… Quelque juste que soit, en général, cette idée fondamentale, Lamarck assigne cependant à l’habitude une importance trop exclusive… Il ignore le principe extrêmement important de la sélection naturelle dans la lutte pour l’existence, principe que Darwin nous a fait connaître cinquante ans plus tard. »

Il faut remarquer d’abord que Hæckel a écrit ces lignes en 1868, à une époque où aucune faiblesse n’avait encore été relevée dans le mode d’explication du grand évolutionniste anglais. Les circonstances ont bien changé depuis lors, et de nombreux auteurs ont combattu avec succès le système exposé dans « l’Origine des espèces ». J’ai montré aisément, pour ma part, que le fameux principe (?) de la sélection naturelle n’est qu’une vérité de La Palisse, une forme de langage commode pour raconter les faits, et ne fournit qu’une apparence d’explication. Mis en présence d’un groupe d’êtres vivants occupant à un certain moment un certain canton, l’observateur darwinien constate au bout de quelque temps que quelques-uns sont morts, et que d’autres ont survécu. Il synthétise dans l’expression « sélection naturelle » l’ensemble très complexe des causes qui ont fait disparaître les individus morts, et il déclare que ces individus, par le fait même qu’ils sont morts, étaient moins bien armés que les autres pour résister aux causes de destruction. Personne ne saurait s’inscrire en faux contre une telle assertion ; c’est là une vérité évidente ; c’est aussi une vérité stérile, une simple commodité de langage. Remarquons-le, en effet, c’est seulement après coup que les événements désignent les êtres qui, dans l’espèce, étaient le moins bien armés. Darwin n’aurait pas su le prévoir, et cela est bien naturel puisque cet auteur n’a jamais essayé de se faire une idée de la nature des manifestations vitales. Il ne se demande pas ce que c’est que vivre ; il ne peut donc savoir d’avance quelles seront les conditions qui, pour chaque individu, favoriseront ou rendront impossible la continuation de la vie. Il est assez curieux que l’illustre Anglais ait cru pouvoir étudier l’évolution des êtres vivants sans s’être jamais demandé quelles sont les lois mêmes de la vie. Son illusion a conquis les foules parce qu’il a dit : « La sélection naturelle conservera dans tous les cas les êtres les mieux armés. » Et, parlant ainsi, il a l’air de savoir d’avance quels sont ces êtres les mieux armés ; il ne le saura qu’après coup. Le succès de Darwin est donc venu de ce qu’il a donné à une narration a posteriori l’apparence séduisante d’une narration a priori ; ce n’était qu’un trompe-l’œil, et l’on s’en est aperçu depuis. Il faut reconnaître, cependant, que cette forme de langage a été réellement commode pour les naturalistes qu’aurait déconcertée l’étude d’un trop grand nombre de facteurs concomitants. Des physiciens auraient été moins exigeants ; ils se seraient trouvés satisfaits de la connaissance d’une loi générale élémentaire ; mais le principe de l’attraction universelle, par exemple, malgré sa valeur synthétique immense, ne peut dispenser d’apprendre les faits particuliers de l’astronomie. Le langage de Darwin a donné l’illusion d’une connaissance totale des choses, et cela a été la principale raison de son succès. Au contraire Lamarck, qui nous a réellement appris les lois fondamentales de la vie, ne s’est pas soucié d’aplanir pour ses adeptes les difficultés provenant de la grande complexité des agents vitaux. Il a agi en physicien, c’est-à-dire en savant, et la plupart des naturalistes ne sont pas à même de tirer parti d’un raisonnement de physicien. Aussi les voyez-vous constamment reprocher à Lamarck d’avoir donné des explications incomplètes des faits. Je suis arrivé, au contraire, à cette conviction définitive que la loi d’habitude et la loi d’hérédité résument tous les phénomènes vitaux. Une étude approfondie de ce qu’il faut appeler « fonctionnement » m’a montré que la loi générale de la vie est l’assimilation fonctionnelle, principe simple et universel, qui contient en puissance les deux principes de Lamarck et rien de plus. Toutes les fois que l’on a cru prendre en défaut l’explication lamarckienne, c’est que l’on ne s’était pas suffisamment préoccupé de déterminer les conditions exactes dans lesquelles se produisait le fonctionnement incriminé. Je crois avoir prouvé la gé-