Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/616

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vant, le clair par l’obscur, on avait, comme il convient, tenté l’inverse, il est probable qu’on n’aurait jamais songé à voir avec Darwin dans l’état de guerre, de concurrence, d’hostilité sourde ou déclarée, le rapport normal, universel, cause ou condition de tout progrès. Il existe entre les hommes deux relations bien distinctes : 1° celle de belligérant à belligérant, ou de rival à rival ; 2° celle d’assistant à assisté, ou de collaborateur à collaborateur. Elles sont toujours plus ou moins mêlées, mais la première domine entre hommes appartenant à des groupes sociaux distincts, à deux familles, à deux classes, à deux nations, quoique, même ici, se montre à des degrés divers, un lien inné de solidarité qui tempère l’ardeur de la lutte. Le second rapport est prépondérant au contraire entre personnes d’un même groupe, entre parents, entre compatriotes, malgré toute la force des rivalités égoïstes et des haines envieuses qui souvent les divisent. Or, n’est-il pas clair que le progrès des sociétés est dû surtout, et à vrai dire, uniquement à l’action du rapport pacifique, véritablement social, d’assistance mutuelle ou de collaboration unanime, et non aux effets essentiellement destructeurs du rapport belliqueux ? Si ce dernier semble parfois régénérateur, c’est qu’on lui prête faussement les bons effets du rapport contraire. Ce n’est jamais la guerre qui civilise le vaincu ; mais, après la guerre, le vaincu s’élève parfois en imitant la civilisation supérieure du vainqueur, civilisation née de la concorde et de la paix ; et qu’est-ce qui a fait la victoire, sinon la tactique plus savante, grâce aux études d’une société longtemps paisible, sinon la discipline militaire plus étroite, sinon la confraternité et l’abnégation plus développées chez les vainqueurs ?

Aussi n’y a-t’il pas de besoin humain plus constant, plus profond, que celui de consolider et d’étendre chaque jour davantage le rapport pacifique, intra-social, aux dépens du rapport extra-social de la guerre et de la lutte. Et, comme l’extension et la consolidation du premier rapport ne peuvent s’opérer que par des annexions d’États à d’autres États, ou par des usurpations momentanées de libertés individuelles au profit d’un despotisme régulateur, centralisateur, socialiste, la guerre est utile souvent, mais à quoi ? à supprimer l’état de guerre. C’est sa seule utilité. Il en est de même de la concurrence commerciale. Par elle-même, elle ne saurait produire que de mauvais effets. Elle en provoque d’excellents, parce qu’elle s’établit entre des ateliers ou des fabriques dans l’intérieur desquels règne une admirable harmonie de fonctions, et que, les faisant connaître les uns aux autres, elle force les moins outillés, les moins disciplinés, à se modeler sur leurs rivaux ou bien à disparaître pour permettre