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à ceux-ci d’agrandir encore leur installation, d’augmenter leur personnel et de déployer sur un plus vaste théâtre les qualités de coordination et de collaboration plus parfaites qui les distinguent. Comparez les petites boutiques du moyen âge où un ou deux apprentis travaillaient sous les ordres d’un patron, à nos grands magasins, à nos grandes manufactures modernes qui vont toujours grandissant : à quoi a servi la concurrence prolongée des petites boutiques sinon à préparer l’ère prochaine du monopole de ces géants industriels ?

Mais, entre les êtres vivants serait-il donc vrai que la concurrence et la bataille sont plus et autrement utiles ? Non. D’abord, il est clair que le combat pour la vie n’a pu être le fait vital primitif. Pour lutter, il faut être fort, et la force vient de l’union intérieure. Ce que la lutte a de bon, c’est parfois de permettre à cette union de se développer, développement qui se nomme ici nutrition et reproduction. Quand on a voulu appliquer les fameux principes de la concurrence vitale et de la sélection naturelle à l’intérieur de l’organisme, et expliquer par eux la formation de l’harmonie des divers organes, — sans avoir recours à la corrélation de croissance (dangereux auxiliaire qui est le démenti implicite du système) — on n’a réussi qu’à montrer l’inanité de ces prétendues clefs du mystère vital. Biologiquement, il convient de distinguer deux classes de rapports, classées sur celles que le monde social nous présente ; à savoir : 1° les rapports principalement, mais non exclusivement belliqueux des organismes divers entre eux ; et 2° dans chaque organisme, les rapports non exclusivement, mais principalement pacifiques et féconds de ses divers organes, de ses divers éléments. Si l’on jette un regard sur l’échelle actuelle et sur le déroulement passé des êtres vivants, on s’apercevra sans peine, conformément à l’hypothèse émise par MM. Espinas et Edmond Perrier sur l’évolution par association, que la seconde classe de ces rapports gagne sans cesse du terrain et fait reculer la première. L’évolution par association : cela signifie que, dans le monde vivant comme dans le monde social, le besoin constant, profond, de paix, de fraternité, de congrégation quasi-religieuse encore plus que militaire ou industrielle, s’est fait sentir depuis l’apparition de la première monère, et que, par suite, les êtres vivants, à égalité de vie dépensée, sont devenus moins nombreux, mais composés séparément d’une plus nombreuse et plus dense population, le champ de la concurrence vitale se resserrant sans cesse à mesure que la vie montait. — Et, soit dit et conjecturé en passant, c’est peut-être par une suite de ce besoin poussé à bout que les sociétés ont pris naissance. Il y a sans nul doute des bornes infranchissables, imposées par la nature des choses, à l’extension des sociétés cellulaires,