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fient bien des dogmes, des légendes et des rites ; pour les alphabets, les monnaies, les poids et mesures, qui d’une diversité exubérante marchent à une complète uniformité ; pour l’art militaire, je viens de le dire ; pour les sciences enfin dont la perfection se marque par la simplicité claire, par la nudité féconde des formules. Plus, en un mot, la vie individuelle se surcharge et s’embrouille, plus la vie sociale, musique de cet orchestre bizarre, se dépouille et s’éclaircit ; tellement qu’après avoir été des espèces d’êtres vivants, des plantes idéales et grandioses, les nations, suivant l’observation pénétrante de Cournot, finissent par devenir des machines ou des cristaux, des administrations ou des castes, et qu’après avoir été des génies ou des instincts supérieurs, délicats à manier, elles ne sont plus que des forces quasi-physiques faciles à diriger tant bien que mal par le premier politicien venu. Une hétérogénéité croissante a engendré ici une homogénéité croissante.

Est-ce dans ce cas seulement ? Non sans doute. Si nous pouvions dévisager individuellement chacun des atomes constituants de la substance la plus pure, la plus vraiment simple, quel enchevêtrement de gravitations infinitésimales, enchaînées et closes, quel fouillis de petits traits distinctifs n’y découvririons-nous pas avec surprise ! La raie spectrale qui nous paraît caractériser chaque substance c’est-à-dire sa manière spéciale de vibrer lumineusement, ne nous révèle pas plus la nature intime de ses atomes que le son lointain et caractéristique d’une pinada, c’est-à-dire son espèce propre de vibrations sonores sous le vent, ne nous dessine les silhouettes de ses pins.


II


Je ne fais qu’effleurer ces considérations. Pour le moment je n’en veux retirer que cet enseignement : de ce que les faits sociaux viennent se greffer sur les faits vitaux, il ne s’ensuit point que ceux-ci soient plus aisés à déchiffrer et plus propres à éclairer ceux-là que ceux-là à expliquer ceux-ci. On pourrait même croire le contraire sans nulle ironie, à voir le temps et la peine qu’il faut dépenser pour former un médecin, même médiocre, et la promptitude relative avec laquelle s’improvisent les hommes d’État même les plus éminents. Or la médecine n’est-elle pas à la biologie ce qu’à la sociologie est la politique ?

Si au lieu de vouloir expliquer le monde social par le monde vi-