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H. SPENCER. — DE L’INTÉGRATION POLITIQUE

les races teutoniques. Les tribus germaines, primitivement sans lien fédéral, formaient de temps en temps des alliances en vue d’une guerre. Entre le Ier et le ve siècle, ces tribus se massèrent graduellement pour former des groupes considérables en vue de résister à Rome ou de l’attaquer. Dans le cours du siècle suivant, les confédérations militaires de peuples « de même sang », prolongeant leur durée, devinrent des États. Plus tard, enfin, ces États s’agrégèrent et constituèrent des États plus grands encore. Pour prendre un exemple relativement moderne, ce fut durant les guerres entre la France et l’Angleterre que ces deux pays passèrent, de l’état où les éléments féodaux qui les composaient jouissaient d’une grande indépendance, à celui de nation consolidée. Pour mieux montrer que c’est bien ainsi que commence l’intégration de petites sociétés en une société plus grande, on peut ajouter qu’au début les unions n’existent que pour réaliser des fins militaires : chaque société composante conserve longtemps son administration intérieure à l’état indépendant, et c’est seulement lorsque l’habitude de l’action combinée en guerre a été prise qu’une organisation politique commune vient rendre la cohésion permanente.

La combinaison de petites sociétés pour en former de plus grandes par l’effet de la coopération militaire se trouve assurée par la disparition des petites sociétés qui ne coopèrent point. Barth remarque que « les Foulahs progressent toujours, n’ayant point affaire à un seul ennemi fort, mais à plusieurs petites tribus qu’aucun lien fédéral ne réunit. » Galton rapporte que, lorsque les « Namaquois font une razzia dans un village de Damaras, il est rare que les villages voisins se lèvent pour le défendre, et que par suite les Namaquois ont détruit ou réduit en esclavage peu à peu presque la moitié de la nation des Damaras. » Il en fut de même, suivant Ondegardo, des conquêtes des Incas au Pérou : « on ne fit rien d’ensemble pour s’opposer à leurs progrès ; chaque province défendit son territoire sans recevoir les secours d’aucune autre province. » Nous devons mentionner cette marche si frappante et si bien connue, parce qu’elle a une signification sur laquelle il importe d’insister. En effet, nous voyons que, dans la lutte pour l’existence entre les sociétés, la survie des plus aptes est la survie des sociétés qui ont fait preuve de la plus grande aptitude à la coopération militaire ; et la coopération militaire est le genre primitif de coopération qui prépare la voie aux autres. De sorte que la formation de grandes sociétés par l’union de petites durant la guerre, et la destruction ou l’absorption des petites sociétés restées désunies par de plus grandes arrivées à l’état d’union, sont l’opération inévitable par laquelle les variétés