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TANNERY. — l’éducation platonicienne

qui chante sur chacun d’eux correspond à cette ouverture d’où jaillissent les flammes augustes, « comme le vent d’une flûte[1]. »

Mais, soit pour arriver jusqu’à Platon, soit pour être assimilée dans son esprit, cette doctrine du Milésien a dû subir une transformation radicale.

En premier lieu, les anneaux d’Anaximandre sont à de notables distances les uns des autres, et leurs épaisseurs semblent négligeables par rapport à ces distances ; ceux de Platon se touchent, en sorte qu’il faut supposer les astres correspondant à chaque anneau comme placés à la surface extérieure de cet anneau, et les épaisseurs transversales des couronnes comme représentant par suite les distances entre les orbites. Nous n’avons donc plus en aucune façon ces réservoirs creux d’Anaximandre, d’où sortent les feux célestes par des trous dirigés de notre côté ; nous nous trouvons en présence d’une conception mécanique toute spéciale de solides glissant les uns sur les autres et dont les mouvements doivent donc être soumis à une dépendance réciproque.

Quelle est la véritable origine de cette nouvelle conception, dont le caractère indiquerait un dogme de Leucippe ou de Démocrite ? La question peut rester ouverte ; en tout cas, nous ne sommes nullement portés à reconnaître ici une invention propre à Platon, Cette conception pouvait déjà être familière de son temps, car elle constitue le fond du système astronomique d’Eudoxe, qui l’a développée en l’adaptant à la forme sphérique introduite par les Pythagoriciens.

En second lieu, Anaximandre ne parait avoir distingué que trois anneaux : celui du soleil, au plus loin de la terre, là où le mouvement circulaire doit porter la plus grande masse de feu ; en deçà, l’anneau de la lune ; et plus près enfin, toujours pour la même raison à priori, sur une même surface, les étoiles fixes et les cinq planètes, dont la théorie n’est pas encore commencée de son temps. Platon range au contraire les astres dans l’ordre suivant à partir de la terre, la Lune, le Soleil, Vénus, Mercure, Mars, Jupiter, Saturne, les fixes. Cet ordre est celui que les Pythagoriciens avaient adopté, en rejetant aux limites du monde la sphère où le mouvement est le seul parfaitement régulier, et en suivant, pour les sept planètes, la série décroissante des durées de la révolution[2].

  1. Plutarque, De placit. philos., II, 20. ὥσπερ διὰ πρηστῆρος αὐλοῦ. — Voir Gustav Teichmüller (Studien zur Geschichte der Begriffe, Bertin, 1874, p. 12, à qui l’on doit d’avoir définitivement reconstruit le système d’Anaximandre.
  2. Cette raison de l’ordre pythagoricien (également à priori, sauf pour la lune, à cause des occultations d’étoiles et de planètes) ne suffit pas pour déterminer les rangs du soleil, de Venus et de Mercure, qui ont la même durée de révolution géocentrique. Aussi les anciens se sont-ils partagés à ce sujet. Nous