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tage égal à celui que le producteur ou le travailleur trouve à le vendre, il semble juste aussi que les bénéfices résultant de la vente se répartissent entre les co-producteurs ou les co-travailleurs proportionnellement à leur participation dans l’œuvre commune. Et qu’est-ce que cela peut signifier, sinon que la peine où la crainte évitées, le plaisir ou l’assurance procurés à l’acheteur du produit ou du service, sont chose susceptible d’évaluation numérique, théoriquement au moins ? Niez cela, et la proportionnalité exigée devient chimérique. S’agit-il maintenant de répartir les bénéfices, deux procédés se présentent : l’un indirect, seul usité jusqu’à ce jour, le salariat, comme disent les socialistes ; l’autre, préconisé par ceux-ci, la participation proprement dite aux bénéfices. Puisque tout produit se paye en raison du service qu’il rend et non du travail qu’il a coûté, il semble que le travailleur, le producteur, devrait recevoir une rémunération proportionnée au service qu’il se trouvera effectivement avoir rendu et que la vente révélera, et non à son travail, dont le résultat futur, utile ou inutile dans une mesure quelconque, est encore inconnu. Mais on oublie que J’ouvrier n’a pas le temps d’attendre la vente de son produit, et que la participation aux gains implique la participation aux pertes. Comme il ne peut consentir à courir cette chance et qu’il exige la certitude du payement et non pas seulement sa probabilité, il faut qu’il accepte les inconvénients de cette sécurité dont il a besoin et dont il recueille l’avantage. Les probabilités, les chances de profits ou de préjudice sont un luxe réservé à ceux dont les besoins, c’est-à-dire les désirs quasi infinis et absolus, sont satisfaits. Les désirs moindres, les désirs relatifs, peuvent seuls être l’objet d’une demi-certitude, d’une croyance relative et faible. Mais aux désirs pleins il faut une foi pleine dans leur satisfaction immédiate ou prochaine. Voilà pourquoi la nécessité du salaire s’impose encore et s’imposera aussi longtemps que la majorité des travailleurs n’aura pas de ressources capitalisées en quantité suffisante pour lui permettre d’attendre la vente des produits de son travail. Au reste, indirectement et dans l’ensemble, le salaire se proportionne toujours ou tend à se proportionner aux bénéfices. Dans les pays de vignobles, il haussait avant le phylloxera ; il baisse à présent, quoique le travail des vignerons soit resté aussi pénible. Dans ce cas comme partout, les ouvriers ont participé non seulement aux gains, mais aux pertes, et il en sera toujours ainsi, avec cette double réserve que leur participation aux pertes n’ira point jusqu’à entamer le salaire minimum faussement appelé naturel, et que leur participation aux gains ne portera pas atteinte au privilège de l’entrepreneur, lequel, courant de plus grands dangers et en outre