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dès qu’elles dépassent un certain degré ; non qu’elles soient bestiales, mais nous n’y entrons pas facilement, ayant plus de peine à modeler notre corps sur le corps d’autrui que notre imagination sur ta sienne, et, vu l’intermittence des affections corporelles, nous trouvant rarement à leur endroit au même diapason que nos semblables (Id., p. 54, vol. I). Quant aux passions hostiles, elles donnent naissance à une sympathie divisée qui nous intéresse autant à la victime qu’à l’agresseur ; de plus, elles provoquent par sympathie directe des passions de même nature dans l’âme des spectateurs et l’invitent à des représailles (Id., p. 77). Elles finissent ainsi par nous devenir odieuses. Dès que l’un des antagonistes est accablé, nous nous rangeons du côté de la faiblesse contre l’abus de la force.

Une seconde source de jugements moraux provient de la sympathie. Quand nous nous plaçons par l’imagination dans la situation où se trouvent nos semblables, et qu’en même temps nous observons les émotions qu’ils manifestent, nous comparons inévitablement ces émotions à celles que nous éprouvons en idée pour les mêmes objets : les leurs sont plus ou moins fortes que les nôtres. La mesure où les leurs restent au-dessous des nôtres ou les dépassent est celle de notre antipathie et par suite de notre désapprobation. C’est ainsi que nous jugeons de la convenance ou de la non-convenance des actes consécutifs. Il faut seulement que nous nous gardions avec soin de tout entrainement ou de toute indolence ; pour que le degré que notre émotion atteint soit la véritable mesure de la convenance, nous devons être vis-à-vis des émotions d’autrui un spectateur impartial. C’est par une fiction semblable, mais inverse, que nous pouvons obtenir un jugement exact sur nos propres actions. « Nous nous considérons comme agissant en présence d’une personne remplie de candeur et d’équité, qui n’a aucune relation particulière avec nous ou avec ceux dont les intérêts sont compromis par notre conduite, qui n’est ni notre père, ni notre frère, ni notre ami, ni le leur, mais qui est simplement un homme en général, un spectateur impartial qui voit nos actions avec la même indifférence que nous voyons celles d’un autre… (tome II, p. 22). » Ce qui agit sur nous quand nous sacrifions notre intérêt au bonheur d’autrui est quelque chose de plus que la bienveillance ; « c’est la raison, la règle, la conscience, l’habitant de notre cœur, l’homme intérieur, le grand juge et l’arbitre de notre conduite (Id., p. 30). »

Enfin les actions bonnes nous sont sympathiques à un autre titre : « nous les considérons comme faisant partie d’un plan de conduite qui tend au bonheur de la société et de l’individu ; elles nous paraissent tirer de cette utilité un genre de beauté assez approchante de