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A. ESPINAS. — la philosophie en écosse

celle que nous attribuons à une machine bien imaginée. » Ainsi elles sont bonnes moins en tant qu’avantageuses au bien public qu’en tant que faisant partie d’un système très complexe dont toutes les parties conspirent de la manière la plus merveilleuse à un seul effet. Elles flottent « notre amour du système et de l’arrangement », notre goût pour « la beauté de l’ordre de l’art et de l’invention ». « Nous prenons plaisir à considérer ce grand et beau système du gouvernement, et nous ne sommes pas content que nous n’ayons écarté tous les obstacles qui peuvent troubler ou embarrasser le moins du monde la régularité de ces mouvements. » Bien que ces rouages multiples de la machine gouvernementale ne tendent en définitive qu’au bonheur des individus, cette fin n’est pas ce qui nous touche, et l’étonnant agencement des moyens en vue de cette fin nous séduit bien davantage (tome II, p. 114).

De ces trois sortes d’impressions dérivent des jugements moraux que nous érigeons en règles et qui constituent tout ce qu’on appelle devoir, droit, justice, mérite, démérite, satisfaction de la conscience, remords, bref la morale tout entière. La moralité n’est pas seulement une source de satisfaction pour l’individu, c’est une garantie d’existence pour le corps social. « La justice est ta principale colonne qui soutient tout l’édifice. Otez cette colonne, vous réduirez en poudre la grande, l’immense fabrique de la société humaine, cet ouvrage dont la construction et la conservation semblent avoir été pour ainsi dire l’objet chéri des soins que la nature a pris de ce bas monde. » Que la bienfaisance s’y joigne, et la prospérité se joindra à l’ordre. Au fond même, toute vertu dérive de l’amour, et la justice n’en est qu’un moindre degré (tome II, p. 53). Si donc les lois morales étaient observées de tous, la vie la plus régulière et la plus florissante serait assurée aux diverses nations, sans le secours d’aucune contrainte extérieure ; le jeu naturel des intérêts et le concours spontané des bonnes volontés suffiraient à la distribution de la richesse et à la répartition des avantages sociaux, comme les lois de la nature suffisent à la circulation de la sève dans les plantes. « Y a-t-il une institution politique aussi avantageuse pour le bonheur des hommes que le règne de la sagesse et de la vertu ? Tout gouvernement n’est qu’un moyen de suppléer à leur défaut (tome II, p. 11)). » II faut donc voir dans les lois morales les volontés mêmes de Dieu s’appliquant à la conservation et à l’accroissement des empires. Les lois divines c’incident avec les lois naturelles, le sens moral n’est que le substitut de la Providence dans la direction des volontés humaines au sein des sociétés (tome II, p. 52 et suivantes).

Cette idée de l’organisation et du fonctionnement spontanés des