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vue s’y trouvent à peu près aussi occupées que possible[1]. Nous allons examiner rapidement chacune de ces combinaisons.

L’architecture et la sculpture se marient admirablement, comme on peut le voir notamment dans l’architecture ogivale de la belle époque. Les deux arts, en effet, procèdent par des voies trop différentes pour être exposés à se heurter et à se nuire. La peinture peut être très utilement employée pour la décoration des grandes surfaces (plafonds, peintures à fresques, vitraux) ou pour l’ornementation générale (tableaux suspendus à l’intérieur de l’édifice). Nous avons eu occasion d’expliquer plus haut comment et pourquoi, dans l’architecture et la sculpture polychromes, l’effet artistique nous semblait plutôt diminué, affaibli.

Quant à l’association de la musique et de la poésie, elle comporte quelques explications. Cette combinaison a d’abord le mérite de permettre, en musique, l’emploi de la voix humaine, c’est-à-dire du plus parfait et du plus varié des instruments connus. De plus, l’esprit de l’auditeur trouve, dans les paroles, une sorte d’appui continu, de fil conducteur, qui lui permet de suivre plus facilement le développement de l’idée musicale. Enfin l’articulation est une ressource de plus ajoutée aux ressources naturelles du chant.

Néanmoins, l’association de la poésie et de la musique est très difficile, peut-être impossible à réaliser d’une manière satisfaisante, et cela pour des raisons aisées à comprendre.

En effet, dans la poésie, comme nous l’avons vu plus haut, les vers représentent, indépendamment des idées qu’ils expriment, des phrases musicales dont le rythme, les temps forts et faibles sont parfaitement déterminés. Dans la musique, les phrases mélodiques ont également un rythme, une forme très nettement définie. Sous peine d’endommager gravement, ou même de sacrifier complètement l’un des deux arts à l’autre, il est indispensable de maintenir chacun des temps forts à sa place, dans le vers et dans la phrase musicale. Première et très grave difficulté, mais ce n’est pas la seule. La poésie et la musique ont chacune, dans leurs mouvements respectifs, une symétrie qui leur est propre. La phrase musicale a l’envergure plus étendue que la phrase poétique ; elle comporte, elle exige même, de fréquentes répétitions, un développement sui generis qui ne peuvent s’accommoder de l’allure naturelle aux vers. De plus, la poésie exprime toutes les idées, tandis que la musique ne peut dépeindre que les particularités des sentiments qui se rattachent à la notion de

  1. On pourrait ajouter encore, à cette énumération, la cérémonie de la messe, dans le culte catholique, où l’odorat lui-même se trouve associé, par le parfum de l’encens, aux sens esthétiques.