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HERBERT SPENCER. — la société industrielle

elles au point de vue de l’honnêteté, de la véracité, de l’humanité. Tout ce que nous pouvons faire dans nos conjectures, c’est de constater un progrès vers les caractères moraux propres à un état que les hostilités internationales ne troublent point.

En premier lieu, avec le progrès du régime du contrat, l’indépendance s’est accrue. L’échange quotidien des services sous la condition de l’accord, impliquant à la fois l’affirmation des droits personnels et le respect pour les droits d’autrui, a été favorisé par le développement de l’autonomie personnelle et par conséquent de la résistance à une autorité non consentie. Le mot d’indépendance, dans son sens moderne, n’était pas en usage en Angleterre avant le milieu du siècle dernier. Sur le continent, l’indépendance est moins marquée qu’en Angleterre aujourd’hui. Ces deux faits donnent à penser qu’il existe un rapport entre ce trait de caractère et le développement de l’industrialisme. On le reconnaît à la multiplicité extraordinaire des sectes religieuses, dans les divisions des partis politiques, et, dans un domaine plus restreint, à l’absence des écoles dans l’art, la philosophie, etc., ce résultat de la soumission de disciples à un maitre reconnu, qu’on

    croyance officielle, le niveau de la véracité est tel qu’un ministre démissionnaire peut donner un démenti aux déclarations d’un ministre sur des affaires décidées dans le cabinet, et qu’ensuite nous nous rappelons la merveilleuse véracité de ces athées de Bodos, Dhimals, Lepchas el autres tribus pacifiques qui n’ont pas de croyances analogues aux nôtres, véracité qui va jusqu’à ce point qu’il suffit d’accuser de mensonge un Hos pour qu’il se donne la mort, nous sommes incapables de voir comment l’absence d’une croyance théiste peut mettre en péril les égards dus à la vérité. Nous lisons dans un journal hebdomadaire, représentant particulier de la culture universitaire que les ecclésiastiques anglais ont reçue, des lamentations sur la dégradation morale dont on a fait preuve à l’égard des Boers, dégradation qui consiste à ne pas les avoir massacrés pour les punir d’avoir résisté avec succès aux empiétements des Anglais ; il est aisé de voir que « le devoir sacré de tirer vengeance du sang », si cher au sauvage cannibale, l’est aussi pour ces gens qui durant le cours de leur éducation ont reçu à chaque instant l’enseignement de la religion chrétienne. Si nous passons de là « au singulier oubli des injures » des irréligieux Lepchas, la prétendue relation entre le théisme et les sentiments d’humanité ne nous paraît guère d’accord avec les faits. Si nous comparons l’ambition de nos gens assidus à l’église, qui courent à la fortune, pas toujours par des moyens honorables, afin de pouvoir faire de grandes dépenses, et qui se flattent qu’à leur mort ils arrangeront tout, à l’ambition de l’Alfarou qui ne désire la richesse que pour pouvoir payer les dettes des pauvres et aplanir des différends, nous sommes obligés de rejeter la supposition d’après laquelle l « amour fraternel » ne saurait exister que comme conséquence d’injonctions divines, accompagnées de promesses de récompense où de menaces de châtiment, car les Alfarous, nous dit-on, « n’ont pas la moindre conception de l’immortalité de l’âme. » À toutes les questions qu’on leur faisait à ce sujet, ils répondaient qu’aucun Alfarou n’était revenu vers eux après sa mort, qu’ils ne savent donc rien d’un état futur, et qu’ils en entendaient parler pour la première fois. Leur idée est que, quand on est mort, c’est fini. Ils n’ont pas non plus d’idée de la création du monde. Ils répondent seulement : « Aucun de nous n’en sait rien ; nous n’en avons