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observe encore sur le continent. On ne contestera pas, je pense, qu’en Angleterre les hommes se montrent plus qu’ailleurs jaloux de leur indépendance et déterminés à agir comme ils le trouvent bon.

La diminution de subordination à l’autorité, revers de cette indépendance, suppose naturellement la diminution de la fidélité politique. L’adoration du monarque n’a jamais atteint en Angleterre la hauteur où elle est parvenue en France au siècle dernier, ou en Russie jusqu’à une époque récente ; mais elle s’est changée en un respect qui dépend en grande partie du caractère personnel du monarque. On ne se sert plus de nos jours de ces termes d’extrême servilité que le clergé employa dans la dédicace de la Bible au roi Jacques, ni d’aucune des flatteries exagérées que la Chambre des lords adressait à Georges III. La doctrine du droit divin est morte depuis longtemps ; on ne cite plus qu’à titre de curiosité archaïque la croyance à un pouvoir surnaturel immanent qui se révélait par exemple dans l’usage de faire toucher les écrouelles au roi, etc. On ne défend plus l’institution monarchique que par des motifs d’utilité. La décadence du sentiment qui, sous le régime militaire, attache le sujet au souverain, est si grande, qu’on exprime aujourd’hui la conviction que, si le trône devait être occupé par un Charles II ou un

    jamais entendu rien dire ; par conséquent, nous ne savons pas qui a fait tout ce qui est. » Encore une fois, quand, après avoir signalé la crainte que les Aïnos professent pour les esprits et quelques croyances du même genre, miss Bird ajoute qu’il est absurde de parler des idées religieuses de gens qui n’en ont aucune et les appelle d’ « aimables et charmants sauvages » parce que, lorsqu’elle voulait acheter quelque chose, ils ne voulaient recevoir que la moitié de ce qu’elle offrait ; et qu’après cela par contraste nous nous rappelons les juifs qui, après trois mille ans de monothéisme, prêtent de l’argent à un intérêt énorme et ruinent leurs clients en exigeant sans merci ce qui leur est dû ; nous voyons que la bonté qui peut exister sans croyance théiste est aussi remarquable que la méchanceté qui peut exister avec cette croyance. Ce que les faits nous apprennent, c’est que, pour ce qui est des états moraux de l’homme, la théorie n’est presque rien et le pratique presque tout. Sans égard pour l’élévation de leurs croyances nominales, les nations adonnées au brigandage politique pour se procurer des frontières scientifiques, et autres avantages du même genre, compteront parmi leurs membres beaucoup de gens qui s’annexeront le bien d’autrui à leur propre convenance ; avec le crime organisé de le guerre offensive marche la criminalité dans la conduite des citoyens les uns à l’égard des autres. Réciproquement, comme le démontrent ces tribus incivilisées, qu’importe qu’elles possèdent ou non des croyances religieuses ; les peuples qui, durant de longues générations, sont restés à l’abri de toute agression, ne font pas de mal aux autres ; leurs sentiments altruistes se développent à la faveur du commerce sympathique d’une vie paisible, et ils montrent les vertus qui en naissent. Nous avons besoin d’apprendre qu’il est impossible d’unir l’injustice et la brutalité dans les relations extérieures avec la justice et l’humanité à l’intérieur. Quel malheur que ces païens ne songent pas à envoyer des missionnaires chez les chrétiens !