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parmi celles-ci l’application des mathématiques à la psychologie), elle a conduit aussi à des résultats remarquables et permis d’éclaircir bien des points obscurs, de lever bien des difficultés et d’introduire plus d’harmonie, plus d’ordre dans le savoir humain. À ce titre, elle a rendu service à la philosophie, en permettant de reconnaître ce qu’il y a de semblable et d’identique dans les phénomènes naturels et physiques, psychologiques ou sociaux. Si cette identité partielle a parfois empêché de voir les différences, cela prouve que la méthode peut être mal appliquée, mais non qu’elle n’est pas bonne.

Mais ce n’est pas seulement au point de vue philosophique qu’il faut louer la méthode de recherches dont il est question ; elle n’a pas une moins grande importance au point de vue pratique, en donnant aux sciences morales un fondement solide, en en faisant, pour tout dire, de véritables sciences ; elle permet aux arts qui se fondent sur elles, à l’éducation, à la morale, au droit, etc., de passer de l’état empirique à l’état rationnel de s’établir sur des bases inébranlables, et d’avoir la double autorité de l’expérience et du raisonnement.

L’Italie s’est distinguée dans ce dernier ordre de recherches. Des travaux originaux et d’une grande valeur, très suggestifs, ont été faits sur les rapports du droit et des sciences médicales et anthropologiques, et constituent une des parties les plus brillantes de la philosophie italienne, Lun des représentants les plus distingués de cette philosophie, M. Enrico Ferri, nommé il y a peu de temps professeur de droit et de procédure pénale à l’université de Bologne, vient de faire paraître un livre intéressant dans lequel il examine les nombreux horizons qui s’ouvrent pour les sciences juridiques.

M. Ferri insiste fortement sur la nécessité pour la science des crimes et des peines de ne pas se séparer des sciences naturelles, mais de s’unir à elles. Il montre ensuite les contradictions qui existent entre l’ancienne conception du droit et les résultats de la science, L’étude de la psychologie expérimentale, et de la sociologie et du droit pénal l’ont conduit à reconnaître qui le criminaliste, quand il ne veut pas se renfermer dans un pur exercice de rhétorique, trouve trois grandes difficultés à surmonter. En effet, parmi les points essentiels du droit pénal se trouvaient les trois postulats suivants : 1o l’homme est doué du libre arbitre ; 2o le criminel est pourvu d’idées et de sentiments semblables à ceux des autres hommes ; 3o l’effet principal des peines est d’empêcher le nombre des crimes d’augmenter. Or, ajoute M. Ferri, sur le premier point, la psychologie positive à démontré que le libre arbitre était une pure illusion métaphysique ; sur le second, l’anthropologie montre par des faits que le criminel n’est pas un homme normal, il forme une classe spéciale, et par ses anomalies organiques et psychiques il représente un retour ataxique aux races sauvages chez lesquelles les idées de justice, de moralité, d’honnêteté n’existent que peu ou point. Sur le troisième, la statistique prouve que l’augmentation et la diminution du nombre des crimes dépendent de tout autres causes