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vent et légèrement adoptée, semble donner raison à Mill) veut simplement dire que l’idée d’hommes est comprise dans l’idée de mortels, toute pétition de principe disparaît. Non seulement la proposition le duc de Wellington est mortel n’a pas servi à former cette majeure, mais le fait même de la mortalité de ce duc est tout à fait étranger à la relation que l’esprit a établie entre ses concepts, C’est à ses risques et périls qu’il établit cette relation ; c’est comme une convention qu’il fait avec lui-même ; et, si en la faisant il a bien l’arrière-pensée qu’elle représente une loi des choses, il n’affirme rien que des concepts qu’il a formés. Qu’il ait tort ou raison de s’arroger ce droit, peu importe ; le fait est qu’il se l’arroge. Il doit s’efforcer de régler les symboles qu’il construit sur le modèle de ce qu’il a vu ; mais il n’abdique pas son indépendance. On ne le voit que trop par les faux raisonnements auxquels il s’arrête souvent et qui ont pour lui la même autorité que les vrais.

Insistera-t-on en disant que si la majeure, de quelque manière qu’elle soit formée, est vraiment vraie, c’est à condition qu’elle repré-

    et je demande qu’on explique ce paralogisme évident d’apporter en preuve de la mortalité du duc de Wellington une assertion générale qui la présuppose. » (Ibid, p. 207.)

    Mill, on le voit, se place toujours au point de vue de ce qu’il appelle la logique de la vérité : il est toujours préoccupé de la vérité objective des propositions : c’est un souci que les anciens logiciens ne connaissaient pas, Or la proposition générale n’étant pour lui que le résumé des faits, elle ne peut être vraie que si tous les faits qu’elle résume, sans exception, sont vrais. Si on lui accorde sa théorie des noms et des propositions, comme la plupart de ses adversaires ont paru le faire, expressément ou non, ses objections contre le syllogisme sont irréfutables.

    Mais, et c’est ce que nous avons essayé de montrer dans ce travail, elles ne sont irréfutables que dans son système ; elles ne le sont plus pour la logique traditionnelle, qu’il a indûment combattue au nom de principes qu’elle n’avoue pas, Les concepts sont autre chose que les phénomènes : et la vérité des pro positions générales ne dépend pas uniquement des faits à propos desquels elles ont été formulées. L’esprit y met quelque chose de lui : il dépasse l’expérience en la transformant. Ou plutôt, lorsque grâce à l’expérience il est par venu à la science, son rôle change. Une fois en possession des lois de la nature, il se place au cœur des choses : les phénomènes lui apparaissent comme dépendant des lois qui les gouvernent ; il les voit non plus comme celui qui les constate, mais comme celui qui les produirait ; il les voit selon l’ordre de l’existence, et non plus selon l’ordre de la connaissance ; d’esclave qu’il était vis-à-vis de la nature, suivant un mot, célèbre de Bacon, il est devenu maître : c’est la science qui l’a affranchi. Dés lors, si c’est parce que Socrate, le duc de Wellington, tant d’autres, sont morts, qu’il a appris à enfermer l’idée d’homme dans l’idée de mortel, c’est parce que tout homme est mortel qu’il peut désormais prédire la mortalité de tel ou tel individu.

    À cette condition seule, il n’y aura plus de pétition de principe. Si l’on refuge d’accepter cette théorie conceptualiste, il faut, croyons-nous, non seulement reconnaître que Mill a raison, mais même aller jusqu’au syllogisme à quatre termes de M. H. Spencer.