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V. BROCHARD.la logique de j. stuart mill

Il serait intéressant d’abord de savoir comment, dans la doctrine de Mill, la proposition générale peut, comme il le soutient, servir de garantie à l’inférence, si elle-même n’est vraie qu’en même temps et de la même manière que la conclusion. Il est vrai que Mill atténue la portée de ce mot garantie ; c’est la même chose, dit-il, d’inférer que le duc de Wellington est mortel ou que tous les hommes sont mortels ; mais l’affirmation d’une proposition universelle demande plus de précaution et d’attention. Cependant, de deux choses l’une : ou la proposition générale n’ajoute rien à la proposition particulière, et elle ne fait que la répéter sous une autre forme : et si elle lui est identique peut-elle en être la garantie, une garantie, au dire de Mill, indispensable pour le raisonnement scientifique ? ou elle ajoute quelque chose, et alors n’est-ce pas rétablir d’une main la pétition de principe qu’on a retirée de l’autre ?

Si au contraire le syllogisme est fait de concepts, si la proposition tous les hommes sont mortels (et on l’énoncerait bien plus correctement en disant : tout homme est mortel ; l’autre formule, trop sou-

    à l’objection de M. P. Janet. « Je puis, dit M. Janet, penser à la classe sans penser expressément à tels ou tels individus ou espèces contenues dans la classe : je prends la notion générique dans la totalité sans penser aux applications indéfinies qui peuvent être faites in concreto de ce type générique. »

    Il est bien vrai que Mill semble parfois nous contester le droit de parler de ce qui est implicitement contenu dans une notion. Outre les passages invoqués par M. Janet, nous avons cité les termes vraiment sophistiques par lesquels il formule cette objection dans la Philosophie de Hamilton. Cependant sa thèse, sur le point spécial qui nous occupe, nous semble être différente : il s’agit moins (si nous ne nous trompons) de ce qui est pensé que de ce qui est ou, ce qui revient au même pour Mill, de ce qui est affirmé. Ainsi il admet bien que nous pouvons penser que tous les hommes sont mortels sans penser au due de Wellington ; mais il nie que cette proposition, prise en elle-même, soit vraie, si le duc de Wellington n’est pas mortel. Et, si elle n’est pas vraie (que nous le sachions ou non) il n’y a plus de syllogisme. En un mot, la proposition générale n’ayant sa valeur que si la proposition particulière est vraie, si elle intervient, fût-ce pour une partie, dans le raisonnement, il y aura pro tanto une pétition de principe.

    Au reste, ce n’est pas une supposition que nous prêtons à Mill. La solution que développe M. Janet a été déjà, come il le rappelle, proposée par M. de Morgan, et Mill a répondu : « Puisque, par la supposition, on a affirmé que l’individu nouveau, qu’on s’en soit assuré ou non, possède les marques (indiquées par la majeure), en affirmant la prémisse majeure, on a affirmé qu’il est mortel. Maintenant, ma thèse est que cette assertion ne peut pas être une partie de l’argument. Ce ne peut pas être une condition nécessaire du raisonnement de commencer par une assertion qui servira ensuite à prouver une partie d’elle-même. » (Log., p. 235, t. I.) Et ailleurs : « Je n’entends pas soutenir cette absurdité que nous devrions avoir connu actuellement et eu en vue chaque homme individuel passé, présent ou futur, avant d’affirmer que tous les hommes sont mortels. Je ne dis pas qu’une personne qui, avant la naissance du due de Wellington, affirmait que tous les hommes sont mortels, savait que le due de Wellington était mortel ; mais je dis qu’elle l’affirmait,