Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 12.djvu/612

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
608
revue philosophique

il ne faut pas l’oublier non plus, le raisonnement déductif, bien interprété, ne doit être employé qu’à défaut de l’expérience, soit pour la devancer, soit pour la remplacer. Il est bien clair que nous n’avons pas besoin de faire un raisonnement pour prouver que le duc de Wellington est mortel, si nous voyons qu’il est mort. Pour atteindre des faits que nous n’avons pas, nous nous servons des idées que nous avons. Par l’ingénieux artifice du raisonnement, nous faisons par provision ce que fera la nature ; nous traçons d’avance la série des phénomènes qu’elle devra produire ; le raisonnement est, à vrai dire, un pis aller. L’accord final de la pensée avec les choses est à vrai dire un postulat. Nous posons en principe, nous convenons, si l’on veut, que ce qui vaut pour les idées vaut pour les choses, et jamais, quand nos idées ont été régulièrement formées, la nature n’a manqué à cette sorte de pacte que nous avons conclu avec elle. Qu’elle y manque un jour, c’est ce qui peut à la rigueur arriver ; il faudrait alors changer nos concepts pour les mettre en harmonie avec elle. En ce sens, on peut dire qu’il y a toujours quelque chose d’hypothétique dans une conclusion syllogistique appliquée à la réalité. Mais il en est exactement de même des mathématiques. Est-ce vraiment compromettre la solidité de la logique déductive que de la déclarer hypothétique au même titre et de la même manière que les mathématiques ? En tout cas, si c’est un défaut, la logique de Mill n’y échappe pas plus qu’une autre : il n’y a plus de logique possible si l’on ne peut conclure de la pensée aux choses.

Stuart Mill donne le choix aux partisans de la logique conceptualiste entre ces deux alternatives : ou le syllogisme est une pétition de principe, ou c’est une pure tautologie. Nous avons écarté la première ; il faut examiner la seconde.

On a, dans les temps modernes, beaucoup écrit sur la stérilité du syllogisme, et il semble bien qu’en vertu de la définition même, puisque la conclusion doit être contenue dans les prémisses, en connaissant les prémisses, nous sachions déjà ce que nous allons conclure ; en un mot, qu’en faisant des syllogismes nous ressemblions à ces vieillards qui répètent sans s’en douter les mêmes récits ou à ces prophètes qui prédisent des évènements déjà réalisés, D’un autre côté cependant, des philosophes tels que Leibnitz et Stuart Mill lui-même prennent la défense de ce mode de raisonnement, et si l’on y regarde de près, on est étonné de l’importance que le syllogisme a conservée, même en notre temps ; il survit à tous les anathèmes. À vrai dire, sauf de rares exceptions, nous ne mettons plus nos syllogismes en forme, mais, comme dit Leibnitz, « par les arguments en forme, il ne faut pas entendre seulement cette manière