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V. BROCHARD.la logique de j. stuart mill

scolastique d’argumenter dont on se sert dans les collèges, mais tout raisonnement qui conclut par la force de la forme[1]. » Lorsque Descartes proclamait l’inutilité du syllogisme, c’était uniquement à l’appareil scolastique, au vêtement extérieur du raisonnement, qu’il s’attaquait ; il gardait soigneusement le fond, et personne plus que lui n’a usé du raisonnement déductif. Les modernes adversaires du syllogisme ne l’entendent pas ainsi. Comme on le voit par l’exemple de Mill, qui n’en fait l’apologie qu’après l’avoir presque réduit à néant, c’est le raisonnement déductif lui-même, dont il est la forme la plus achevée, qui est en cause. La question est de savoir si le mode de raisonnement qui tire une conclusion d’une proposition générale mathématique ou autre qui conclut, selon l’excellente expression de Leibnitz, par la force de la forme, est de quelque utilité. Or, si la question est ainsi posée, elle est résolue par les faits. Les démonstrations mathématiques en effet peuvent être ramenées à des séries de syllogismes. « Un compte bien dressé, un calcul d’algèbre, dit Leibnitz, une analyse des infinitésimales me seront à peu près des arguments en forme, puisque leur forme de raisonner a été prédémontrée, en sorte qu’on est sûr de ne s’y point tromper. Et peu s’en faut que les démonstrations d’Euclide ne soient des arguments en forme le plus souvent, car, quand il fait des enthymèmes, en apparence, la proposition supprimée et qui semble manquer est suppléée par la citation à la marge, ou l’on donne le moyen de la trouver déjà démontrée, ce qui donne un grand abrégé sans rien déroger à la force[2]. » Même dans les sciences physiques, le raisonnement déductif sert à déterminer les conséquences d’une hypothèse et à préparer les expériences qui la confirment. Enfin de quel usage le syllogisme n’est-il pas, sous une forme ou sous une autre, dans les questions politiques ou morales ? Les polémiques de nos publicistes, les discours de nos avocats ou de nos hommes politiques, les consultations et les discussions de nos jurisconsultes ne sont le plus souvent que des séries de syllogismes. Les étroites relations qui, au dire des anciens, unissaient la dialectique et l’art oratoire, subsistent encore aujourd’hui ; en aucun temps on n’a considéré comme un médiocre éloge pour un homme politique ou pour un avocat de dire qu’il est un habile dialecticien. À moins de prendre plaisir à de vaines épigrammes, dira-t-on que tant de discours devant nos tribunaux ou nos assemblées n’ont jamais servi à établir aucune vérité qui ne fût déjà connue ? On

  1. Nouveaux essais sur l’entend. humain, liv. IV, ch. XVII, p. 514, édit, Janet.
  2. Leibnitz, Ibid. Voir aussi sur ce point le chapitre de M. Renouvier. Essais de critique générale, 1er Essai, t, II, p. 79, 2e édition.