Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
187
BÉNARD. — problème de la division des arts

D’abord Sulzer prend très au sérieux le problème et y attache une grande importance. Il entreprend, dit-il, de dresser un arbre généalogique des beaux-arts (Stambaum der schönen Künste). Il va plus loin il prend soin d’en établir et d’en démontrer le principe. Ce principe est emprunté aux sens auxquels les arts, s’adressent. Il est par conséquent tout psychologique, et il a été depuis bien des fois reproduit par les esthéticiens des diverses écoles. La vue et l’ouïe sont les seuls sens esthétiques. Les trois autres sens le toucher, l’odorat et le goût, sont exclus, comme ne donnant que des sensations et affectés aux fonctions de la vie animale. À l’ouïe s’adresse la musique, à la vue les arts du dessin ; l’art de la parole, l’art parlant (redende) est la poésie, le plus élevé des arts. Viennent ensuite les subdivisions. Sulzer les prend dans ce qu’il appelle un peu vaguement le rapport avec la diversité des facultés esthétiques mises en jeu par les différents genres ou espèces dans les arts particuliers…

Cette théorie sans doute est encore bien superficielle ; mais on ne peut méconnaître un essai sérieux de résoudre le problème, dont la gravité enfin est comprise. Le principe qui doit servir à le résoudre est posé, analysé, discuté. Les observations relatives aux sens et à leur valeur esthétique sont loin d’être sans mérite et sans intérêt. Quand on compare ces résultats à tout ce qui précède, on ne peut se refuser à reconnaître un véritable progrès. Aux assertions dogmatiques, aux maximes vagues et banales répétées depuis deux mille ans comme des axiomes, ont succédé des essais d’analyse et de critique encore faibles, mais qui en font présager de plus sérieux.

Il est temps que l’esprit philosophique s’empare de ces sujets, qu’il les approfondisse et les soumette à une critique sévère et rigoureuse. C’est le pas immense que la science du beau va faire avec Kant et la philosophie critique.

Ch. Bénard.