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taines circonstances pour la partie antérieure du muscle (la plus proche de la peau), dans d’autres circonstances pour la partie postérieure (la plus proche de la muqueuse). Si donc je sens M, avec ses caractères particuliers dans la région antérieure des lèvres et P avec ses caractères propres dans la région postérieure, cela s’accorde avec les recherches microscopiques. On peut par suite comprendre qu’une excitation partant de la zone 1, n’excite qu’un groupe de centres, tandis que l’excitation partant de la zone 2 mettra en activité un autre groupe. Il est aussi permis de croire que l’excitation d’une zone déterminée produira des contractions d’une intensité déterminée : par conséquent, un seul et même muscle, d’après la zone d’excitation, formera tantôt M, tantôt B, tantôt P, et là sera la base de la représentation de ces sons.

Maintenant, si l’on remarque que des milliers de nerfs se rendent au centre de chaque son ; que, à travers chaque centre, des milliers de routes sont possibles ; que chaque centre est lié à un autre par des milliers de nerfs, l’imagination du lecteur peut se représenter qu’il y a pour un mot une voie en quelque sorte creusée (par la répétition) : par exemple, si le centre P est excité par quelques nerfs, la voie la plus rebattue peut être celle qui de là conduit à a, puis à t, e, r, et ainsi se produira le mot « pater ». Si le centre P est excité par d’autres nerfs, la voie la plus rebattue conduira par e à t, e, r, et on aura ainsi « Peter ») (p. 82-85).

Assurément ce n’est là qu’une hypothèse, mais elle présente le caractère d’une hypothèse scientifique : elle est simple et n’est en désaccord avec aucun fait connu.

Elle explique notamment ce qui arrive chez les aphasiques : ils conservent le plus longtemps leurs mots usuels ; ils perdent les syllabes de certains mots, insèrent dans les mots des syllabes étrangères. Chez eux, le pouvoir d’exciter les centres vocaux est perdu, et la cause est l’altération matérielle de ces centres ; mais ces altérations, en général, n’atteignent pas également les centres dans toute leur étendue. Si donc, chez un malade, le centre T est mieux conservé et reste excitable, on peut admettre, étant donné le grand nombre d’anastomoses qui existent entre les divers centres, qu’une excitation agira toujours et immédiatement sur le centre T ; et si le malade, de lui-même, ne peut prononcer aucune parole en entendant le mot « Peter », il répétera « Teter ».

À la fin de ce travail, M. Stricker répond à une objection qui lui a été présentée ici même (Revue philosophique, tome VIII, p. 353) par M. Delbœuf, à propos d’une personne absolument sourde depuis cinquante-quatre années et qui cependant entendait des mots en rêve. Notre auteur, après avoir interrogé plusieurs sourds qui dans leurs rêves entendaient également des discours, n’a pu savoir si les mots étaient pour eux réellement entendus ou seulement perçus. Il est certain que, même après une habitude de longues années, on ne rêve jamais de