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tant que telles ; et c’est là pour le timbre un avantage très grand et une supériorité considérable.

Étudiez maintenant le timbre instrumental et comparez-le au timbre vocal. Il a été démontré plus haut que les instruments musicaux sont des voix et que, si l’on me permet cette formule, leur musicalité est en raison directe de leur vocalité. Rappelons en outre que nous mesurons cette vocalité d’après un type qui n’est autre que la voix humaine. Un instrument est d’autant plus une voix qu’il a plus d’analogie avec la voix de l’homme. À cet endroit de notre recherche, une nouvelle question se présente : En quoi consiste au plus juste cette analogie, sur laquelle nous avions insisté, entre le pouvoir expressif de notre voix et celui de certains instruments ? Elle réside nécessairement dans l’intonation et dans l’intensité que les instruments possèdent et au moyen desquels il leur est permis de se comporter à la façon d’une voix. Mais est-ce tout ? À la façon de quelle voix se comportent ces instruments ? Si l’on répond : Eh bien, à la façon de la voix humaine, je réplique et je demande : À la façon de quelle voix humaine ?

En effet, de même qu’il n’existe pas d’homme en général dans la réalité, de même il n’existe pas dans la réalité de voix humaine en général. Il y a des voix d’enfants, d’homme, de femme, et des nuances de ces voix. D’où, lorsqu’un instrument se comporte à la façon de la voix humaine, il est inévitable que cet instrument ait le caractère d’une de ces voix en qui se personnifie tel âge, tel sexe. Mais ce caractère, chez l’homme, venait principalement du timbre. C’est également au timbre que l’instrument le doit surtout. Et nous poserons cette loi, déduction de la première, que chaque instrument musical est non seulement une voix, mais l’analogue de l’espèce de voix humaine dont son timbre rappelle le plus le timbre.

Voilà pourquoi ce n’est pas du tout se livrer à un jeu d’esprit que d’attribuer à certains instruments je ne dis pas simplement une voix, ce qui serait vague, mais telle voix déterminée, ce qui est précis. La raison en est que chaque instrument musical a, je ne dis pas simplement un timbre, mais bien tel timbre particulier et déterminé. M. Léon Pillaut et Berlioz ont le droit d’écrire, en prenant les mots à la lettre, que les clarinettes hautes chantent avec des voix féminines, parce que ces clarinettes ont, à la lettre, un timbre féminin. J’ai le droit de dire que le hautbois, dans ses notes hautes, a la voix féminine et paysanne à la fois ; car, en ce moment même, je crois entendre un chœur de hautbois jouer à l’unisson sous ma fenêtre ; je vais y voir, et je reconnais une troupe de paludières du Bourg de Batz criant à plein gosier sur le quai du Croisic une chanson des ma-