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BÉNARD. — problème de la division des arts

et les monuments de l’art, il ne l’avait pas éprouvé ; il était resté à peu près étranger à ce mouvement des intelligences qui se faisait autour de lui. Les productions de l’imagination d’ailleurs devaient avoir moins d’attrait pour cet esprit sévère, voué qu’il était au culte des idées abstraites. À ces raisons ne craignons pas d’en ajouter une autre, c’est que toute la philosophie kantienne est engagée dans une voie qui ne saurait conduire à l’intelligence de l’art et de ses œuvres. L’art (et la suite le démontrera) est absolument réfractaire à un système et à une méthode dont le caractère essentiel est le subjectivisme. Là où l’objectivité fait défaut, où tout se ramène aux formes de la pensée d’une part, aux perceptions sensibles de l’autre, sans qu’aucun lien s’établisse entre elles que celui que crée l’esprit, lui-même incapable d’atteindre à la chose en soi, les œuvres de l’art comme celles de la nature restent des énigmes indéchiffrables. Déjà l’essence du beau est inconnue dans ce système, et il est relégué dans la région de l’inconnaissable. Le beau se définit par ses effets, par les sentiments qu’il excite et par les actes de l’esprit qui le perçoivent ; l’art, à son tour, ne sera conçu et compris que par les facultés qui le produisent ou le jugent, l’imagination, le génie, le talent, le goût. Il ne sera possible que de cette façon de le distinguer des arts utiles ou des sciences et de montrer en quoi il en diffère. Il sera donné, encore au métaphysicien moraliste, d’assigner au beau et à l’art un but distinct, qu’il placera dans le jeu libre de ces mêmes facultés. Mais c’est tout, il n’ira pas plus loin. La nature et l’objet même de l’art lui resteront inconnus. Son origine véritable et sa vraie mission, sa place parmi les grandes formes de la pensée et de l’activité humaines seront des problèmes qu’il ne résoudra pas et dont on attendrait vainement la solution de cette méthode. Je dis plus, ces effets eux-mêmes et toute cette partie, si bien décrite, des actes de l’esprit qui lui correspondent, des sentiments et des impressions que l’art fait naître en nous, seront inexpliqués. Ce sera lettre close pour une méthode et une critique qui restent attachés au point de vue de la subjectivité. Aucun de ces faits, en tout cas, n’aura livré son secret, révélé sa raison d’être. De rien on n’aura la clef et le dernier mot.

Et comment en serait-il autrement, quand la nature elle-même que l’art n’imite pas, mais qu’il interprète, est recouverte d’un voile impénétrable ? Elle-même n’offre à l’esprit qu’un ensemble de phénomènes régis par des lois qui ne sont que des formes de la pensée subjective. L’art, qui est une seconde nature, idéalisée, glorifiée, transfigurée, l’art, révélation plus haute et plus claire du principe invisible et caché des existences, mais visible dans ces formes, l’art, où ces mêmes idées apparaissent comme en un miroir vivant, ne