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Mais avant tout la formule donnée pour Héraclite frappe par son caractère égyptien. « Osiris est le même qu’Hor » en serait la traduction littérale et donnerait en même temps la même clef de l’explication symbolique de la marche du soleil.

Que le mythe, si obscène qu’il soit, n’ait pas un autre sens au fond, on ne peut guère en douter. Quant à la cérémonie elle-même, Hérodote a sans doute raison de lui attribuer une origine égyptienne ; il est d’ailleurs parfaitement possible qu’elle ait eu, dans le principe, une tout autre signification, et que le mythe ait été forgé après coup sur elle. En tout cas, transparente chez les Égyptiens, chez qui le caractère solaire des divinités est bien accusé, la légende était devenue absolument obscure chez les Grecs.

La question qui se pose est donc celle-ci : s’il n’est guère supposable qu’Héraclite ait deviné de lui-même le sens mystérieux caché sous le symbolisme obscène, a-t-il révélé un point d’une doctrine secrète qui se serait transmise en Grèce par les seuls initiés et qui aurait donné l’explication des rites orgiaques, ou bien a-t-il reconnu la vérité grâce au rapprochement de la religion égyptienne et de la religion hellène ?

Qu’il y ait eu en Grèce, au fond des mystères, une doctrine secrète sérieuse, je considère, pour ma part, le fait comme absolument invraisemblable, et ma grande raison, c’est qu’en tout cas elle est restée inconnue ; les mystères ne se gardent que quand ils ne valent pas la peine d’être révélés[1]. Je me bornerai donc à examiner la seconde hypothèse. Peut-on admettre qu’Héraclite ait eu de la religion égyptienne une connaissance plus ou moins approfondie ?

Depuis plus d’un siècle, l’Égypte était en relations suivies avec l’Ionie ; elle devait commencer à être connue. À une date toute récente, Hécatée avait longuement écrit sur l’antique pays en face duquel la Grèce ne pouvait que reconnaître la jeunesse de ses traditions. L’Éphésien pouvait donc certainement en avoir de seconde main une connaissance passablement étendue, et, quel qu’ait été son éloignement pour la polymathie, il est très vraisemblable, étant donnés sa situation et son caractère, qu’il se sera attaché à pénétrer particulièrement les croyances religieuses de l’Égypte.

S’il en est ainsi, l’influence égyptienne doit se faire sentir plus ou moins profondément dans toute l’œuvre d’Héraclite, et non seulement à propos d’une occasion singulière comme celle que nous avons rencontrée. C’est ce qu’il convient d’examiner maintenant,

  1. Que les Enfants de la Veuve me pardonnent, mais la franc-maçonnerie m’en semble une preuve suffisante.