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notes et discussions

Je puis prononcer un mot ou une syllabe, et, en même temps, me représenter un mot ou une syllabe d’une articulation toute différente. Je puis, par exemple, articuler à haute voix la syllabe pa et me représenter mentalement le mot ou l’articulation ver. En prononçant la voyelle a, je puis me représenter la série des cinq voyelles, a, e, i, o, u. En lisant ou en chantant à haute voix, je puis imaginer une conversation et entendre des phrases autres que celles que je lis. Or, je remarque ici une chose, c’est que l’impression auditive forte diminue considérablement et tend à sortir de la conscience ; les impressions musculaires que me donne la lecture subsistent au contraire bien davantage. J’en conclus, que, si dans l’impression forte les sensations musculaires viennent alors à dominer, dans l’impression faible, différente et simultanée, ce qui doit dominer c’est l’image auditive[1]. Je constate, en effet, en d’autres occasions qu’une impression musculaire forte s’associe très difficilement avec une image motrice au lieu qu’elle s’associe bien avec une image visuelle ou auditive. Ainsi je puis bien me représenter musculairement et visuellement un mouvement du bras alors que je suis en repos ; mais, si je fais exécuter à mon bras un autre mouvement et si j’essaye alors de me représenter le premier, je vois que les sensations musculaires sont entravées dans leur reproduction faible et que le fait m’apparaît surtout sous forme d’image visuelle. Le phénomène est peut-être plus net en ce cas parce que les sensations motrices donnée par un mouvement du bras sont plus fortes que celles de la parole. Je suis en outre autorisé à conclure de ce dernier fait que les images motrices ne sont pas invariablement liées aux images visuelles correspondantes de mouvement.

Il est possible de varier les expériences. Ainsi je puis encore en faisant exécuter à ma langue, dans ma bouche, des mouvements réguliers, et, tout en gardant parfaitement conscience de ces mouvements, imaginer un chant ou une récitation de vers. L’attention ici se partage donc entre des images auditives et de sensations motrices fortes qui ne correspondent pas aux images auditives. Si, au contraire, j’essaye de partager mon attention entre des sensations auditives fortes et régulièrement variées et des images auditives fai-

  1. Je dois dire que cette expérience est difficile à faire et que les résultats n’ont pas toute la netteté que je leur aurais désirée. Je raconte les faits comme ils m’ont paru se produire, mais je tenais à émettre cette légère réserve. Je dois ajouter que cette expérience était faite pour vérifier une opinion déjà existante. On sait que cela peut influer sur l’observation. En sens inverse, il faut tenir compte de ce fait que la crainte de voir ce qui n’existe pas pourrait dans une certaine mesure, empêcher de voir ce qui est. D’ailleurs cette expérience concorde dans ses résultats avec les autres qui sont fort nettes.