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NOLEN. — les logiciens allemands

venait de substituer à l’Organon d’Aristote avait livré la plupart de ses combats et remporté ses succès décisifs sur le terrain des recherches astronomiques et de la physique proprement dite ; et Kepler et Galilée et Newton, les premiers triomphateurs dans cette lutte gigantesque qu’engageait pour les siècles le génie de l’homme contre les puissances de la nature, n’avaient pas songé à étendre jusqu’au monde de la vie la hardiesse de leurs investigations.

Sans doute le matérialisme, avait soutenu de tout temps que rien dans l’univers, ni le monde moral ni celui des organismes, ni la pensée ni la vie, n’échappe aux explications du mécanisme physique et, par suite, de l’induction expérimentale, qui en est l’instrument indispensable.

Mais à ces voix suspectes, malgré leur antiquité, la philosophie récente du cartésianisme n’avait pas tardé à joindre la sienne dans une certaine mesure. Descartes, et Spinoza et Leibniz, en dépit de leurs divergences, s’accordaient dans l’affirmation fondamentale que tout se passe dans les corps, au sein de la matière vivante ou brute, comme si la sensibilité et la pensée en étaient complètement absentes. Leibniz, allant plus loin encore, professait que rien n’arrive dans le monde de l’esprit, c’est-à-dire dans la conscience humaine, qui n’ait son écho dans les mouvements de l’organisme. Et Kant, à son tour, à la fin du xviiie siècle, ne posait-il pas comme le principe suprême de toute science véritable ou, pour parler son langage, de toute expérience, que les faits, quels qu’ils soient, qui se déroulent dans l’immensité du temps et de l’espace, ne sauraient être affranchis des lois du mécanisme, et que le savant n’a le droit de recourir aux causes finales, pour expliquer les phénomènes, qu’au défaut et dans l’intérêt du mécanisme.

Bien que tous les philosophes, et non seulement les matérialistes, qui s’attribuent volontiers le privilège de ces hautes clartés, mais aussi les idéalistes les plus décidés, qu’on juge d’ordinaire d’une façon si superficielle, fassent d’accord pour affirmer le rôle souverain du mécanisme et de l’induction expérimentale, il était réservé à notre temps de justifier par les faits la valeur de la méthode nouvelle ; et les logiciens contemporains n’ont eu qu’à dégager la théorie des illustres exemples qui se multipliaient sous leurs yeux.

Voyons par quelles ingénieuses inventions, par quels prodiges de sagacité et de patience ; essayons enfin de déterminer dans quelle mesure la science, armée de la méthode inductive, a réussi à soumettre à son empire les domaines de la nature qui lui avaient été fermés jusque-là.

Nous ne sommes plus au temps où Kant pouvait s’écrier : « Qu’on