Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 16.djvu/546

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
542
revue philosophique

en mathématiques, enfin dans leur origine psychologique. Partout il montre qu’elles sont sans objet, qu’elles ne sont que dans la pensée, toutes négatives et indéterminées. Cette étude doit être comparée à celtes de Gutberlet, de Dühring et de Liebmann sur le même sujet.

Kreyenbühl. La liberté morale chez. Kant. — 1o La conscience de la liberté morale, la croyance en un ordre moral du monde l’emporta chez Kant sur la critique conséquente de la raison. La morale ne pouvait rigoureusement être chez lui qu’hypothétique et subjective ; le sentiment moral eut le dessus ; Kant mit un abîme entre la foi morale et le savoir théorique. Plus il chercha à donner à la morale de rigueur scientifique, plus il se heurtait à une impuissance spéculative qui lui fut reprochée. — 2o Le domaine de la loi morale et de l’impératif catégorique est indépendant de la nécessité mécanique de la nature ; son fondement est la liberté. Mais il ne suffit pas de déduire négativement la liberté ; il faut qu’elle soit donnée par un acte primitif, synthétique de l’esprit. Fichte le premier proclama la haute valeur de cette conscience primitive de la liberté. — 3o Ce fut la première erreur de Kant de faire de la liberté une simple indépendance à l’égard de la nature, de la loi morale une simple forme législative, abstraite, sans déterminations positives. — 4o La liberté est considérée par Kant comme la faculté d’engendrer, de créer de rien un acte, un état que rien ne prépare ; ce commencement absolu renferme cette contradiction qu’un être (moi, sujet) est considéré comme un n’étant-pas (devant poser son existence, son état). — 5o Une loi abstraite, vague, sans contenu réel et concret, n’agit point sur la volonté ; l’homme ne se courbe pas devant une puissance d’origine inconnue ; il faut qu’il voie dans cette loi l’essence la plus profonde de la raison, de son individualité. Plus haute est la doctrine de Fichte, dégagée de ce faux esprit rationaliste dont sont imprégnées les formules de Kant. — 6o Kant ne parvient pas à concilier l’autonomie, la détermination de la liberté morale par elle-même, et cette morale hétéronome, imposant du dehors sa loi à l’homme ; le véritable sens de la détermination morale ne fut compris et mis en lumière que par ses successeurs. — 7o Le point capital, c’est que la liberté morale est indépendante des impulsions sensibles, est une activité créatrice et autonome. Cette causalité transcendante de la liberté remédiait aux côtés imparfaits de sa métaphysique ; mais Kant ne pouvait fonder sa morale que grâce à une inconséquence, et de là l’opposition absolue entre sa négation de toute métaphysique dans la raison spéculative, et sa restauration de la métaphysique dans la raison pratique. Ce dualisme faux du savoir et de la foi ouvrait toute grande la porte au positivisme. — 8o La grande erreur, en morale comme en toute philosophie, c’est de prétendre tout ramener à une forme logique ; ce logicisme abstrait est l’erreur fondamentale de toutes les philosophies antérieures et postérieures à Kant ; de là provient l’impossibilité où est Kant de concilier la liberté et la nature. — 9o En-