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L’ÉVOLUTION DE L’IDÉE DE BRILLER

EN SANSKRIT, EN GREC ET EN LATIN


I

L’hypothèse de l’évolution, ou simplement celle du progrès, est-elle applicable au domaine des idées générales ? En d’autres termes et pour mieux préciser la question, peut-on diviser les idées communes à tous les hommes en primitives et secondaires, et dans l’affirmative faire le départ des unes et des autres ? Sous un point de vue très large, la réponse paraît facile et a été faite depuis longtemps. Oui, les idées ont eu une succession, et leur rapport chronologique correspond à la différence logique qui existe entre les idées concrètes et les idées abstraites. Celles-ci sont postérieures à celles-là ; la preuve en résulte d’une manière absolue de la postériorité même du substantif vis-à-vis de l’adjectif. L’adjectif proprement dit, qui caractérise, à l’aide d’un démonstratif ou d’un article, l’individu par le signe physique qui lui est propre, est en effet le véritable organe de l’idée concrète ; tandis que le substantif commun ne saurait correspondre, ainsi que l’indique son nom, qu’à des genres, c’est-à-dire à des abstractions. Cette différence essentielle apparaît clairement, par exemple, dans l’emploi du mot latin serpens. Comme participe présent ayant force qualificative, il s’applique à tout être particulier dont l’attribut caractéristique est de ramper ; il le désigne d’une manière concrète ou pittoresque, ce qui est tout un, et doit se traduire par le rampant. Employé substantivement, il devient l’étiquette incolore d’un genre et ne dénomme l’individu qu’eu égard à ce genre : un serpent. L’étymologie seule rappelle alors que le mot est une ancienne épithète individuelle que la généralisation ou l’abstraction, c’est-à-dire l’application à une série d’individus de même sorte, a transformée en substantif. Or le rapport chronologique des deux emplois si distincts du même mot est certain, et nul ne saurait contester que le qualificatif individuel ou l’adjectif n’ait précédé le qualificatif générique ou le substantif.