Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 17.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
124
REVUE PHILOSOPHIQUE

dit de Saint-Pétersbourg, de MM. Böhtlingk et Roth[1], admirable travail d’ailleurs, mais où, par exemple, l’on donne, contrairement à toutes les analogies, le sens primitif de pointe ou tranchant, au lieu de celui de flamme, au mot tejas ; soit le célèbre ouvrage de Curtius sur les étymologies grecques[2], dans lequel l’excès d’analyse et la défiance de la synthèse, surtout de la synthèse logique, ont souvent égaré l’auteur ; soit enfin le dictionnaire étymologique grec-latin de Vanicek[3], qui présente au point de vue du rapport logique des mots donnés comme issus d’une même origine, l’exemple de la plus grande confusion.

On ne saurait donc trop le redire, en matière d’étymologie, les possibilités phonétiques seules sont trop nombreuses, dans la plupart des cas, pour offrir assez de garanties. Les possibilités logiques, sans être uniques en chaque circonstance, s’offrent en moindre quantité, et, quand elles s’accordent avec les premières, elles établissent un critérium étymologique à peu près sûr. La réciproque est vraie, quoique dans une moindre mesure : les possibilités, phonétiques servent souvent de contrôle aux possibilités logiques avec lesquelles elles coïncident.

Je me suis inspiré de ces remarques en dressant le tableau d’ensemble des principaux faits de linguistique, ou des principales formes verbales d’après lesquelles on peut suivre l’évolution du sens des mots qui signifient briller en sanskrit, en grec et en latin. Au delà du sens primitif, concret ou physique, de briller ou brûler, auquel se soude étroitement celui de voir, je constate, comme on le verra, différentes nuances secondaires correspondant aux idées abstraites ou morales de : paraître pour l’esprit (l’éclairer) ou d’être connu, de paraître tel ou de ressembler à, et de paraître bon[4] ou de plaire, etc. À la catégorie fondamentale de briller et de brûler se rattache le grand nombre d’abstraits, c’est-à-dire d’épithètes génériques, ou de substantifs, qui ont passé du sens de brillant ou de brûlant à celui de lumière, feu, ciel, astre, etc. ; s’y rattachent aussi, les adjectifs exprimant une sorte d’abstraction dont il n’a pas été question jusqu’à pré-

  1. Sanskrit-Wörterbuch, von O. Böhtlingk und R. Roth. St-Pétersburg, 1855.
  2. Grundzüge der griechischen Etymologie, von Georg Gurtius. 5e Auflage, Leipzig, 1879.
  3. Griechisch-Lateinisches Etymologisches Wörterbuch, von Aloïs Vanicek, Leipzig, 1877.
  4. Les différentes significations de sat, participe présent du verbe sanskrit as, être, apparaître, paraître, qui exprime souvent l’idée exprimée par la locution grecque καλὸς κἀγαθός, montrent bien comment l’idée de convenance et de bonté procède naturellement de celle d’être. Du reste, les correspondants actifs d’être connu et de paraître bon s’enchaînent très étroitement de la manière suivante : connaître, penser, estimer, priser, aimer.